
L’agriculture dépend fortement des engrais chimiques, dont l’usage excessif altère les sols et pollue les eaux. Une mutation génétique récemment identifiée améliore la symbiose entre plantes et microbes, optimisant l’absorption des nutriments. Cette découverte ouvre la voie à des cultures moins dépendantes des fertilisants, conciliant productivité agricole et durabilité environnementale.
Avec le Salon de l’agriculture qui se tient actuellement à Paris, la question de la durabilité des pratiques agricoles est plus que jamais au cœur des débats. Les engrais chimiques ont permis d’augmenter massivement les rendements, mais leur usage excessif appauvrit les sols, pollue les cours d’eau et contribue aux émissions de gaz à effet de serre. Réduire cette dépendance est un enjeu central pour une production alimentaire durable. Or une mutation pourrait être la solution.
Une étude menée par des chercheurs du John Innes Centre au Royaume-Uni, publiée dans la revue Nature, propose une alternative : exploiter les interactions naturelles entre les plantes et les microbes du sol pour améliorer l’absorption des nutriments. L’équipe dirigée par Myriam Charpentier a identifié une mutation génétique qui renforce ces symbioses dans des cultures comme le blé et les légumineuses, même en conditions agricoles intensives. Cette découverte pourrait permettre de limiter l’usage des fertilisants de synthèse tout en préservant la productivité, une avancée qui suscite un intérêt grandissant dans le secteur agricole.
Une symbiose naturelle entre plantes et microbes
Depuis des millions d’années, certaines plantes ont développé des alliances avec des microbes du sol pour optimiser leur absorption des nutriments. Parmi ces partenaires, les bactéries rhizobia jouent un rôle clé chez les légumineuses. Elles colonisent leurs racines et forment des nodules fixateurs d’azote, une ressource essentielle à leur croissance. Parallèlement, les champignons mycorhiziens arbusculaires (AMF) s’associent aux racines de nombreuses espèces végétales. Ils améliorent ainsi leur captation du phosphore, un élément indispensable au développement des cellules. En échange, les plantes fournissent à ces microbes des sucres issus de la photosynthèse, créant ainsi une relation gagnant-gagnant. Cependant, ce mécanisme naturel est perturbé par l’agriculture intensive. L’apport massif d’engrais azotés et phosphatés rend les plantes moins enclines à s’appuyer sur ces symbioses. Cela limite de fait leur efficacité dans les sols cultivés.

Or, l’équipe de Myriam Charpentier a identifié une mutation dans le gène CNGC15, qui contrôle un mécanisme clé du dialogue entre les plantes et leurs partenaires microbiens. Elle l’a découvert dans la légumineuse modèle en recherche scientifique : Medicago truncatula. Ce gène régule le signalement calcique dans les cellules racinaires, une étape essentielle à l’établissement des symbioses. La mutation observée renforce la formation des nodules fixateurs d’azote et favorise la colonisation des racines par les AMF. Et ceci même en présence d’une fertilisation agricole.
Une mutation avec un impact potentiel sur la réduction des engrais chimiques
Nous savons tous malheureusement que l’agriculture moderne repose largement sur l’utilisation d’engrais azotés et phosphatés. Certes, ils permettent d’augmenter la productivité des cultures. Cependant, leur emploi excessif a de graves conséquences environnementales, en détruisant le sol. De plus, le lessivage des sols emporte les nitrates dans les nappes phréatiques. Cela entraîne la pollution des eaux, favorisant la prolifération d’algues toxiques dans les rivières et les océans. En outre, la production d’engrais azotés repose sur des procédés industriels très énergivores. Ils sont responsables d’émissions massives de gaz à effet de serre. La nouvelle étude sur la mutation CNGC15-GOF pourrait donc offrir une alternative. « Cette découverte ouvre la voie à une agriculture où l’utilisation d’engrais chimiques pourrait être drastiquement réduite, sans compromettre les rendements », explique Charpentier.
Un obstacle majeur à l’utilisation des biofertilisants demeure que les cultures intensives se développent souvent sur des sols déjà riches en nitrates et en phosphates. Une limite aux interactions symbiotiques naturelles. En effet, lorsque l’azote est abondant, les plantes cessent d’émettre les signaux nécessaires à l’établissement de leur partenariat avec les bactéries fixatrices d’azote.
Or, les chercheurs ont démontré que la mutation CNGC15-GOF permet de contourner ce problème. Ils ont réalisé des essais sur le blé en conditions réelles de culture. Leurs observations démontrent que les plantes mutantes maintiennent les interactions avec les microbes du sol, même en présence de fertilisants. Cela signifie qu’il serait possible de réduire progressivement l’apport d’engrais chimiques tout en conservant des sols fertiles et productifs. « Nos résultats offrent une transition vers une agriculture plus durable en combinant productivité et réduction de l’impact environnemental », affirme Charpentier, soulignant ainsi le potentiel de cette avancée pour repenser les pratiques agricoles à grande échelle.
Un mécanisme et une mutation génétique clé pour la fertilisation naturelle
Comment tout cela fonctionne-t-il ? L’établissement d’une symbiose efficace entre les plantes et les microbes du sol repose sur un signal moléculaire précis : les oscillations de calcium dans les cellules racinaires. Ce phénomène régule l’expression des gènes impliqués dans le développement des nodules fixateurs d’azote et la colonisation racinaire par les champignons mycorhiziens arbusculaires. Ainsi la mutation CNGC15-GOF induit une activation partielle et continue de ces oscillations. Point important : même en l’absence des signaux externes habituellement nécessaires. Ce mécanisme permet aux plantes mutantes de maintenir alors une activité symbiotique stable, indépendamment des conditions du sol. En modifiant le fonctionnement du canal ionique CNGC15, cette mutation favorise la transmission des signaux calciques nécessaires à l’activation des symbioses microbiennes, rendant ainsi les cultures plus autonomes dans l’acquisition des nutriments.
L’un des effets majeurs de cette activation prolongée des oscillations calciques est l’augmentation de la production de flavonoïdes, des molécules qui jouent un rôle central dans l’attraction des bactéries rhizobia et des champignons AMF. Les expériences menées en laboratoire ont démontré que les plantes porteuses de la mutation produisent naturellement des quantités plus élevées de flavonoïdes, ce qui améliore significativement leur capacité à établir des interactions symbiotiques. Ces résultats suggèrent que le contrôle génétique de cette voie biologique pourrait être exploité pour favoriser une fertilisation naturelle des cultures. Il faudrait alors sélectionner des variétés possédant cette mutation ou développer des techniques d’amélioration des oscillations calciques. On pourrait de fait renforcer l’efficacité des biofertilisants, réduire la dépendance aux engrais chimiques. Le tout en maintenant des rendements agricoles optimaux.
Vers une application à grande échelle
L’identification de la mutation CNGC15-GOF représente une avancée majeure vers une agriculture moins dépendante des engrais chimiques, une agriculture durable. De plus, contrairement aux modifications génétiques transgéniques, cette mutation peut être intégrée par des méthodes de sélection conventionnelles. Ce qui facilite son acceptation par les filières agricoles et les réglementations en vigueur. Et notamment en Europe où les OGM se voient strictement encadrés. L’objectif est désormais d’identifier d’autres mutations aux effets similaires dans diverses cultures agricoles. Les chercheurs veulent pouvoir exploiter ces mécanismes pour améliorer la fertilisation naturelle des plantes à grande échelle.
Les prochaines étapes consistent à évaluer la robustesse de cette mutation en conditions réelles de culture. Il demeure crucial de tester son efficacité sur d’autres espèces végétales. Surtout les céréales et légumineuses largement cultivées à l’échelle mondiale. Les études vont devoir mesurer son impact sur les rendements agricoles, la résilience des plantes face aux stress environnementaux et la préservation de la biodiversité microbienne des sols. Si ces résultats se confirment, l’intégration de cette mutation dans des programmes d’amélioration variétale pourrait transformer les pratiques agricoles. Réduire l’usage des fertilisants chimiques se trouva alors associé à une production alimentaire suffisante pour la population mondiale. Cette approche s’inscrit dans une démarche plus large visant à réconcilier productivité agricole et durabilité environnementale. Un défi central pour l’agriculture du XXIᵉ siècle.
Source : https://www.science-et-vie.com/