
Comment les industriels nous font avaler des aliments ultratransformés ?
À l’occasion de la diffusion du documentaire « Tous accros : le piège des aliments ultratransformés » sur la chaîne Arte, l’émission s’intéresse aux stratégies des géants de l’alimentation pour nous faire acheter et consommer leurs produits, parfois au mépris du coût pour notre santé.
Avec :
– Pierre Slamich Co-fondateur de l’association Open Food Facts
– Benoît Heilbrunn Professeur de marketing à l’ESCP Business School.
– Mélissa Mialon Ingénieure en agroalimentaire et docteure en nutrition
– Bernard Srour Chercheur en épidémiologie
Comment l’industrie agro-alimentaire nous fait avaler ses aliments ultratransformés ? Nous sommes massivement devenus accro à l’alimentation ultratransformée depuis les années 1970, comment des multinationales comme Pepsi Co, Mondelez International, Danone, Nestlé ou encore Unilever nous poussent à consommer leurs produits ultra-transformés ?
Cette émission explique notamment ce qu’est le point de félicité qui nous pousse à ingurgiter toujours plus de chips, de biscuits salés ou sucrés, de barres chocolatées, de friands, de cordons bleus, de lasagnes préparées, de bonbons et autres nuggets ?
Comment les entreprises de l’industrie alimentaire ont-elles conçu le point de félicité de ces aliments ultra-appétissants, et comment la neuro-imagerie a permis de nous rendre accro ? Toute cette alimentation ultratransformée n’est pas sans effet sur la santé.
La dangereuse attirance de l’ultratransformé
Arte diffuse un documentaire qui révèle que « la recherche scientifiques a établi des liens entre aliments industriels, conditionnés, ultra transformés, et obésité, maladies chroniques et morts prématurées« . Des liens ont également été montrés entre l’exposition d’additifs ou d’édulcorants et la déclaration de cancers ou de diabètes. Comme on l’entend toujours dans ce documentaire, on est en pleine crise alimentaire et pourtant on ne peut s’empêcher de consommer ces produits ultratransformés.
Ce documentaire s’inspire du livre du médecin spécialiste des maladies infectieuses Chris Van Tulleken, Ultra-transformés, on mange de la m**** et le pire c’est qu’on en redemande, publié en français par Hachette en 2024.
Une ultratransformation incompréhensible et opaque
L’association Open Food Facts a été créée il y a 10 ans face au fait que les étiquettes étaient totalement illisibles, explique son co-fondateur, « pour apporter les données pour faire de choix qui soient meilleures pour soi, pour sa santé, pour la planète« . Ce projet collaboratif permet de faire ses propres choix et aide également les scientifiques dans leurs recherches en fournissant les premières données. Un exemple en studio dans cette émission avec une sauce bleue, au demeurant peu naturelle, sans étiquette, sans rien sur ce qu’elle contient et distribuée dans un fast-food : « pas de liste d’ingrédients, clairement un truc marketing pour attirer les enfants« , une totale opacité pour quelque chose d’à coup sûr ultra transformé, fait uniquement pour attirer et habituer les plus jeunes à la restauration rapide.
Ce sujet de l’ultratransformation alimentaire est indissociable de celui du packaging. Benoît Heilbrunn est codirecteur de l’observatoire « Marques, imaginaires de la consommation et politique », il explique que cette interface entre le produit et le consommateur est apparue avec le libre-service, « les gens choisissaient dans les rayons, il fallait des indications sur ce qu’il y avait dans le produit, c’est aussi là qu’on a introduit des images de marques« . Ce packaging permet désormais de rendre appétissant tout produit transformé.
Comment reconnaître un élément ultra transformé ? 4 niveaux d’aliments
Pour Mélissa Mialon, ce sont des éléments dont on ne retrouve pas l’origine dans notre cuisine, souvent des éléments avec des additifs, qu’on peut souvent garder très longtemps, « ce qui la différence avec un élément frais ou quelque chose que vous auriez travaillé dans votre cuisine qui ne va se garder que quelques jours« .
Une classification a ainsi été créée selon le degré de transformation des aliments : la classification Nova. « Au lieu de parler de sucre ou de sel, là il est question de parler de différents degrés de transformations. » On y trouve ainsi en 1er niveau les éléments qui ne sont pas transformés, comme les carottes, la viande ; la 2ème catégorie est faite des ingrédients qu’on ajoute comme le sel ou l’huile. Ces deux premières catégories sont associées pour former la 3ème, faite de l’alimentation transformée, qui est ce que chacun peut faire en cuisine, ou ce qu’on peut retrouver au restaurant quand c’est fait maison. « Et puis il y a la 4ème catégorie, celle qui pose problème à la santé, celle des aliments transformés, où on retrouve des choses complètement différentes des 3 premières catégories, avec des additifs qui sont extraits des aliments, avec des processus de fabrication qui ne sont pas reproductibles à la maison.«
Cette 4ème catégorie est problématique car elle transforme en profondeur la structure ou la conservation des aliments, à tel point que dans certains d’entre eux on ne retrouve plus trace d’aliments bruts, nombre d’additifs peuvent modifier l’aspect ou la saveur. On peut ainsi voir des fraises sur un emballage mais ne trouver qu’un arôme fraise dans le produit à l’intérieur du sachet ou du pot. Pierre Slamich, directeur d’Open Food Facts, rappelle qu’on est capable de repérer les additifs ou les arômes mais qu’ils peuvent être « quelque chose parfois de très compliqué à repérer sur la liste des ingrédients (car) de plus en plus les industriels font du clean labelling« , une méthode qui réduit visiblement, mais visiblement seulement les allergènes ou les additifs. Le système consiste à, plutôt que mettre des nitrites et les lister en ingrédients, ajouter un bouillon qui lui-même en contiendra, mais qui ne seront pas listés, pour « un peu piéger le consommateur« .
Le professeur Bernard Srour résume ainsi l’ultratransformation : on va rarement retrouver des ingrédients en entier, plutôt des extraits qu’on va associer entre eux, mais qui n’auraient pas de goût, donc on ajoute des arômes, des édulcorants, des émulsifiants puis on met tout cela dans un bel emballage, « avec un marketing assez intense« .
Chimie alimentaire ? Plutôt un trucage avec une stratégie financière.
Invités :
– Mélissa Mialon, ingénieure en agroalimentaire et docteure en nutrition, actuellement chercheuse à la Trinity Business School, en Irlande. Elle est régulièrement commissionnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et collabore aussi avec des associations de santé et de consommateurs. Autrice de « Big Food & Cie » (Thierry Souccar Editions, 2021).
– Bernard Srour, chercheur en épidémiologie au CRESS-EREN (INRAE, Inserm, Université Sorbonne Paris Nord, Université Paris Cité), et coordonnateur du Réseau NACRe (Nutrition Activité physique Cancer Recherche).
– Pierre Slamich, directeur produit d’Open Food Facts. Après avoir travaillé chez Google et créé JobMind, il a cofondé l’association Open Food Facts.
– Benoît Heilbrunn, professeur à l’ESCP, codirecteur de l’observatoire « Marques, imaginaires de la consommation et politique » à la Fondation Jean Jaurès. Auteur de « Ce que nous cache le mythe du pouvoir d’achat » (Éditions de l’Aube, 2024).
Source : https://www.radiofrance.fr/