
Si l’UE s’est prononcée en faveur d’un assouplissement de la réglementation applicable aux nouvelles techniques génomiques, un rapport de l’Anses diffusé début mars préconise un système de surveillance et d’évaluation resserré des plantes qui seraient issues de ces techniques. Ces dernières ouvrent néanmoins des perspectives pour l’agriculture, dans un contexte de changement climatique. Entre espoir et inquiétudes, quelles sont aujourd’hui les connaissances sur le sujet ?
Développées depuis 2012, les nouvelles techniques génomiques (NGT) marquent une rupture dans la sélection variétale, notamment grâce à l’utilisation de CrisprCas, procédé qui permet de copier dans un gène préexistant une mutation sélectionnée sur une autre variété, par exemple pour une résistance à une bactérie.
Une accélération de la sélection variétale
« Les modifications observées sont de même nature que celles engendrées lors de cassures par les autres mutations », explique Fabien Nogué, directeur de recherche à l’Inrae, spécialiste des mécanismes de réparation de l’ADN chez les plantes. « En l’état actuel des connaissances, il est impossible de distinguer une variété obtenue par NGT d’une variété obtenue par mutation naturelle », souligne-t-il.
« Les mutations spontanées dans le génome sont l’élément moteur de la création variétale », des mutations causées par l’activité de réplication, ou par des dommages exogènes (action des UV par exemple) qui modifient l’activité d’un gène avec parfois des conséquences sur la physiologie de la plante, détaille le scientifique, à l’occasion d’un webinaire organisé le 2 avril par l’Association des journalistes de l’environnement.
Ces techniques permettent d’affranchir la sélection variétale classique d’un certain nombre de contraintes : nécessité de croisement entre deux plantes, difficulté des croisements interspécifiques avec risque « d’introgression de caractères indésirables dans la nouvelle variété », explique Fabien Nogué. Les NGT évitent cet écueil et accélèrent le processus de sélection habituellement dépendant de la durée du cycle végétatif de la plante.
« Ni si rapide, ni si précis, ni si naturel »
Pour Isabelle Goldringer et Jérôme Enjalbert, généticiens agronomes à la ferme du Moulon, unité mixte de recherches Inrae-Paris Saclay travaillant sur les aspects théoriques et appliqués de l’évolution et de la génétique quantitative, les gains agronomiques du développement de ces techniques sont loin d’être évidents.
« On pense que ce n’est ni si rapide, ni si précis, ni si naturel » qu’annoncé, affirme Isabelle Goldringer. La culture in vitro reste un passage obligé, avec le risque de nouvelles mutations, et « toutes les espèces ni tous les génotypes ne sont compatibles », ajoute-t-elle. Quant à l’argument du « naturel », « il n’est pas sûr encore que les variations induites par ces systèmes peuvent se retrouver dans la nature » car il y a, explique-t-elle, un « biais de mutation » dans les mutations naturelles. Ainsi, les gènes dits essentiels ont des taux de mutation moins importants que le reste du génome, laissant penser que des mécanismes naturels maintiennent intactes des séquences importantes pour le fonctionnement de la plante.
Il apparait également nécessaire d’apporter une « attention particulière aux fonctions centrales pour le fonctionnement de la cellule » — respiration, photosynthèse… -, ajoute Jérôme Enjalbert, certaines mutations pouvant par exemple entraîner une stérilité des plantes.
Étudier les effets au champ et sur les écosystèmes
Les NGT ne peuvent-elles pas aider l’agriculture à s’adapter au changement climatique ? Isabelle Goldringer balaye cette hypothèse d’un revers de main, car la difficulté du changement climatique, c’est l’incertitude de la variation climatique d’une année sur l’autre et pour cela, il n’y a pas une plante, un génotype, un gène qui va fonctionner tous les ans, c’est avec la diversité des populations, les mélanges de variétés, que l’on peut s’adapter », estime-t-elle.
Il n’existera en effet « pas de plantes magiques », précise Fabien Nogué, pour qui, en revanche, « les outils d’édition du génome peuvent aussi apporter de la diversité génétique sur des groupes de gènes qui pourraient être additionnés à des stratégies plus classiques », donnant plus de sens à la création variétale.
Autre point de vigilance, les variétés NGT, une fois au champ, peuvent venir polluer les variétés naturelles. « En France, de nombreuses ressources génétiques sont dans les mains des agriculteurs, des matériels hétérogènes génétiques sont préservés in situ, et peuvent être contaminés par les OGM », ajoute-t-il. Or, certaines éditions génomiques intéressantes sur un point peuvent entraîner une faiblesse sur d’autres aspects. Ainsi, des modifications effectuées pour réduire la teneur en lignine du bois pourraient diminuer la résistance aux insectes et aux tempêtes », explique-t-il.
Le chercheur souligne également les risques systémiques d’une utilisation à grande échelle, avec « un impact fort sur l’uniformisation des paysages agricoles » à l’image de l’Argentine qui a massivement déployé le soja résistant. Pour lui, la diversification doit rester prioritaire, ce qui s’avère « peu conciliable avec la logique financière derrière les OGM ». Il rappelle, dans ce contexte, l’importance d’une évaluation sur le temps long.
Dans un avis publié début mars, l’Anses préconise de son côté une évaluation « au cas par cas » avant toute mise en marché de plante issue des NBT, ainsi qu’un « plan de surveillance post-autorisation des risques environnementaux. »
Source : https://www.terre-net.fr/