
– Koami Hilaire Adjaholou, un leader communautaire passionné des écosystèmes forestiers, a initié en 2016 à Logové, une localité située au sud-est du Togo, dans la région Maritime, un projet personnel de création d’une forêt de 26 hectares, dans l’objectif de préserver la biodiversité.
– Peu apprécié à l’entame, ce réputé menuisier‑charpentier parvient, à travers les sensibilisations sur l’enjeu de la création d’une forêt, à faire adhérer à son initiative la population environnante, et est aujourd’hui apprécié des autorités publiques comme des riverains de cet écosystème.
– Il ambitionne, dans une approche de gestion durable, d’introduire dans cette forêt qui a désormais un statut de forêt communautaire, des plantes à vocation thérapeutique et des espèces animales en extinction comme le python.
– La communauté de Logové et Adjaholou espèrent tous en tirer profit, pour booster le développement local, à travers l’écotourisme et l’exploitation durable des produits forestiers non ligneux ; l’apiculture étant déjà en phase d’expérimentation.
En ce début de matinée, du jeudi 2 avril 2025, sous un ciel nuageux, nous sommes accueillis à Gboto-Zévè, un village situé à environ 95 km au nord-est de Lomé, dans la commune Yoto 3, par Koami Hilaire Adjaholou, qui, visiblement, s’est réveillé tôt pour nous recevoir.
« Efo gné woé zon », nous dit-il en langue locale Ouatchi, avec une voix imposante pour nous souhaiter la bienvenue dans sa maison après nos 15 kilomètres de route effectués avec un taxi-moto communément appelé zémidjan, que nous avons sollicité le service depuis Tabligbo, dont nous avons rejoint la veille. D’un signe visuel, il nous fait servir de l’eau fraîche.
« Je suis content qu’on mette enfin les noms sur les visages après les discussions au téléphone. C’est ici que je réside, mais la forêt que vous allez bientôt découvrir et visiter, est environ 12 kilomètres d’ici. Merci d’avoir voulu parler de cette initiative locale que nous portons depuis des années, et dont nous avons conscience qu’elle a un intérêt et impact, non seulement sur la population d’ici, mais de manière globale », nous dit Adjaholou, avant de nous inviter à rejoindre la forêt.
La matérialisation d’un amour pour la nature
Au cours de notre chemin, il nous raconte sa passion pour la forêt. « Je me souviens de mon enfance. Nous sommes nés près de la forêt, et nous nous amusions quand on était encore petit avec certains animaux de la forêt, qui parfois venaient à la maison ou sur les arbres proches de notre case, et on se faisait des signes/grimaces auxquelles les animaux répondaient avec des sauts ou cris, et cela nous donnait la joie ».
Ce souvenir, il a bien voulu le revivre ou permettre à ces petits fils de le vivre aussi. Interrogé sur d’autres motivations de son action, il partage en plus de son souvenir d’enfance une expérience personnelle, qui a ravivé en lui un attachement profond à la nature : « J’ai aussi eu la chance de voyager et de résider au Ghana et en Côte d’Ivoire, où je voyais de grands arbres sur de grands espaces. Ces découvertes ont fait aussi renaitre en moi, cet amour d’enfance que j’avais pour les arbres et la forêt, quand j’aidais mes parents dans les activités agricoles. C’est ainsi qu’à mon retour, j’ai eu le désir de mettre en terre des plants », dit-il.
Pour matérialiser son ambition, Adjaholou, ce renommé menuisier-charpentier, formé au Centre de construction et logement de Lomé (CCL), devait résoudre une première équation de base pour la création d’une forêt. Il s’agit de celle de la disponibilité de la terre, sachant qu’au sud-est du Togo, le manque d’espaces cultivables reste un problème majeur.
« Pour créer une forêt, c’est une question de terrain. Alors, j’ai réuni mes enfants pour les informer de mon intention de consacrer la terre, que j’ai héritée de mes parents, à la création d’une forêt. Dieu merci, et connaissant mon amour pour la forêt, ils ont eux aussi adhéré à mon idée », raconte-t-il.
Le feu vert de sa famille le réconforte. En 1996, il décida, de mettre en terre les premiers plants. Mais, son rêve sera très tôt abandonné, avec la réaffectation de ses terres à l’exploitation agricole.
Cependant, son amour pour la forêt reconnu dans son village le hantera toujours. Pour preuve, en 2016, il sera appelé à jouer un rôle clé pour la restauration de deux forêts dans la préfecture de Yoto.
« À mon retour au village, j’ai été, après quelques années précisément, en 2016 choisi comme président du comité local du projet de restauration de la forêt sacrée Godjé-Godjin, puis au cours de la même année, de celui de la réserve de biosphère de Togodo sud ».
Cette reconnaissance du leadership d’Adjaholou, pour la préservation des forêts, va constituer l’ultime déclic pour l’émergence de la forêt de Logové.
« (….) Alors, pour laisser un signe témoignant, que j’ai vraiment un amour pour la forêt, j’ai décidé en 2016, avec mon choix comme président de gestion de ces écosystèmes forestiers, de reprendre mon initiative de création d’une forêt à Logové », se souvient-il.
Au premier reboisement en 2016, il n’a pu mettre en terre que 10 plants que lui a offert le pépiniériste ayant livré les plants pour la restauration de la forêt de Godjé-Godjin.
« Après ces 10 plants, j’ai commencé par payer les plants ici et là pour continuer à planter sur l’espace. Je payais aussi la main d’œuvre, qui m’aidait à défricher et à mettre en terre les plants ou pour le transport. Je ne sais plus combien exactement, mais j’ai investi mes ressources pour voir mon rêve se réaliser. La première année, nous avons pu reboiser au total, environ 4 hectares, avec l’aide de mes enfants », dit-il.
Par manque de moyens, pour mettre des plants sur toute la superficie qu’il voudrait affecter à la création de la forêt, il a bénéficié du soutien de l’Association de conservation et de promotion culturelle (ACPC) de la Forêt Sacrée Godjé-Godjin et de l’Association Action pour le développement coopératif à la base (ADCB).
« Tu peux aujourd’hui voir dans la forêt des arbres, que nous avons plantés au début, avec nos propres moyens et l’assistance de ces deux associations. Tu verras des kayas senagalensis, le Leucaena, le Terminalia catappa, le Tectona grandis, le Terminalia superba, le néré (Parkia biglobosa), et du Sena siamea, entre autres », dit Adjaholou.
D’une initiative personnelle désavouée à une forêt communautaire
Pour la concrétisation de son idée de création d’une forêt, qui, aujourd’hui, s’étend sur 26 hectares, Adjaholou a dû faire face à des attitudes et paroles non encourageantes.
« Les gens se moquaient de moi, ceux qui passaient lors des travaux le disaient ouvertement : Adjaholou, est-il normal ? Nous cherchons des terres pour cultiver et lui y mets des moyens et de l’énergie pour planter des arbres, qui ne sont même pas des fruitiers, dont on peut tirer profit assez rapidement. Mais malgré toutes ces paroles, j’ai dû résister parce que j’étais convaincu du bienfondé de ce que je faisais », se souvient-il.
Mais cette non collaboration des habitants de son village et des localités environnantes, ne le découragèrent pas. Mieux, il eut l’ingénieuse idée de les sensibiliser, outre ceux des villages environnants.
« Inspiré par mon expérience dans la gestion des forêts et en analysant les propos que j’écoutais, j’étais presque convaincu que, sans une adhésion de la communauté environnante de Logové, mon engagement pour la préservation de la biodiversité sera sans succès », dit-il à Mongabay.
Ainsi, il engagea une mobilisation communautaire, à travers des rencontres de sensibilisation autour des bienfaits de la forêt. Son objectif : faire comprendre à ces frères et sœurs l’intérêt d’une forêt, et les enjeux de sa protection.
« L’individualisme a montré ces limites dans nos contrées. Notre papa a décidé que cette forêt ait un statut de forêt communautaire, afin que chacun devienne un acteur de protection de Logové contre le braconnage, le déboisement et les feux de brousse. C’est pour cela qu’il a su convaincre la chefferie, tous les leaders communautaires et la grande partie de la population », explique Komla Adjaholou, fils de Koami Adjaholou.
De fait, indique ce dernier, la mobilisation permet aujourd’hui d’œuvrer facilement à la préservation de la forêt. « Nous nous mobilisons aujourd’hui ensemble avec les populations riveraines pour faire du regarni et les pare-feux », précise-t-il.

Une initiative unique pour le bonheur de tous
« Le courage et l’engagement d’Adjaholou est unique », reconnait le directeur préfectoral de l’environnement de la préfecture de Yoto, le Lieutenant Doumongue Yendoukoi.
« La création de cette forêt est vraiment une initiative à encourager. Aujourd’hui nous parlons au plan national des forêts communautaires, mais il est important de souligner que cette forêt est particulière et se distingue des autres en ce sens qu’il s’agit d’une action portée, non pas par une communauté ou une organisation, mais par un individu, une personne qui, par amour pour la nature, a pris sur elle de mettre à disposition une superficie de 26 hectares pour la création de cette forêt», dit-il.
«Vraiment il faut féliciter Adjaholou, car il s’inscrit pleinement dans les ambitions et les orientations actuelles de notre pays, le Togo, en matière de protection de l’environnement et de gestion durable des ressources naturelles », ajoute-t-il.
Au-delà du Directeur préfectoral, la population environnante se réjouit de cette forêt. « Adjaholou, qui fut président du comité de développement de notre village de 1999 à 2012 et président des parents d’élèves, est connu de tous par son amour pour les arbres et ses actions pour un développement durable. Sur de petits espaces et un peu partout, il met toujours en terre des plants », dit Koffi Kpomegbe, président du Comité villageois de développement de Gboto-Zévé.
Cette forêt initiée, par Adjaholou, permet aux populations de Logové de découvrir certaines espèces végétales comme le Xylopia, Antiaris (fromager), Vitex madiensis, Synsepalum dulcificum et animales à l’exemple du scorpion, du pangolin, du python, aujourd’hui menacées d’extinction. « La création de cette forêt permet aujourd’hui à nos enfants de connaitre certains plants qui étaient en extinction et leur vertu, de même que certains animaux de brousse, qu’on ne voyait plus. Nous espérons aussi le développement de l’écotourisme autour de cette forêt, ce qui constituera un atout économique pour notre localité », dit Koffi Jules Dasseguey, chef du village de Gboto Zévé.
De plus, aujourd’hui à 75 ans environ, Adjaholou fait la renommée de son village. « Nous devons lui dire merci pour son initiative, qui permet de sauvegarder la biodiversité. Il a fait un sacrifice en consacrant son argent et ses terres à ce projet. Il est à applaudir, il fait parler de notre village et même de la commune Yoto 3 et de la préfecture. La forêt contribue à réguler le climat, à purifier l’air et surtout à favoriser la pluviométrie pour nos activités », dit Komlan Kéké, président de l’Association villageoise de gestion participative des aires protégées (AVGAP) de Togodo Sud, situé environ 106 km au nord-ouest de la capitale Lomé.

Des surveillants pour la sauvegarde de la forêt de Logové
Dans sa stratégie gagnante de mobilisation communautaire en faveur de la sauvegarde de la forêt, il a bénéficié d’un appui technique du gouvernement togolais à travers le Projet renforcement de la résilience au changement climatique des communautés côtières du Togo (R4C-Togo).
Ce projet vise à « renforcer la résilience des communautés côtières, face au changement climatique, grâce à une approche intégrée, axée sur l’adaptation basée sur les écosystèmes et les moyens de subsistance de ces communautés ». Il a permis d’élaborer un inventaire cartographique de la forêt de Logové. Pour une bonne gestion de la forêt, en plus de la cartographie, un manuel de gestion a été élaboré.
Ce manuel définit les programmes prioritaires en termes d’actions à mettre en œuvre pour assurer la restauration et la conservation des écosystèmes. Il comporte trois grands projets, à savoir : l’appui à la gestion participative et durable de la forêt communautaire de Logové, la mobilisation de la communauté de Logové autour de la forêt communautaire à travers le soutien aux initiatives de développement socioéconomique, la restauration et la conservation des habitats de la forêt communautaire de Logové, dont la mise en œuvre est évaluée à 186 243,46 USD.
« Avant le manuel de gestion de cette forêt validée, le 05 février dernier, nous avons mis en place un comité de gestion en plus des surveillants de la forêt. Ces derniers font la ronde et s’assurent que tout va bien, et qu’il n’y a pas un risque de feu de brousse et d’exploitation illégale dans la forêt. Ce comité est constitué des personnes issues des 10 villages et hameaux environnants de la forêt », explique Adjaholou.
Mme Glawdis Adjaho, riveraine de la forêt et surveillante, nous explique leur mission : « Pour que la forêt puisse croitre et abriter une diversité d’animaux et d’arbres, il faut qu’on évite de couper les arbres. C’est pour cela que nous jouons un rôle de veille sur la forêt, de manière à ce que personne ne puisse prélever, pour l’instant, même du bois ou des animaux à travers les pièges, ou à mettre le feu ».

Un sanctuaire à Python et une forêt à vocation médicinale
Aujourd’hui, avec le soutien de ses fils et de la population, il prévoit aménager une partie de la forêt pour le développement de plantes médicinales et l’élevage de pythons, dans une perspective de valorisation écotouristique.
« Aujourd’hui il y a des arbres qui servaient localement à guérir certaines maladies qu’on ne retrouve plus. Il faut donc que nous arrivions à les replanter, afin que les populations trouvent davantage l’intérêt de la forêt. C’est la même chose aussi pour certains animaux, notamment le python qui a des valeurs culturelles chez nous. Même les scorpions et d’autres animaux que nous allons intégrer progressivement », explique Adjaholou, coordonnateur du comité de gestion de la forêt communautaire de Logové.
Ces initiatives s’ajoutent à l’apiculture en expérimentation depuis une année et qui permettra de tirer profit de cette forêt tout en préservant la biodiversité. L’objectif est de remédier à la rareté de miel.

Des défis demeurent toutefois
Malgré les approches développées par Adjaholou pour préserver la forêt, les défis demeurent. Pour preuve, il confie que « l’année dernière, des jeunes venant de Gboto Zévé sont allés déclencher un feu de brousse en vue de pratiquer la chasse et capturer des animaux, notamment les rats, les aulacodes, et les gibiers qui vivent dans la forêt. Nous n’avons plus vécu cela et nous pensions que c’était fini avec ces attitudes, mais voilà tous surpris et vous pouvez le constater vous-même en observant l’impact de ce feu de brousse sur notre forêt ».
Pour faire face à ce défi, Adjaholou pense qu’il faudra à nouveau renforcer la surveillance avec, si possible, des outils technologiques, tout en continuant la sensibilisation.
Aussi, pour mettre en œuvre des actions pouvant contribuer à la gestion durable de cette forêt, à travers notamment l’exploitation des produits forestiers non ligneux, et l’écotourisme, Adjaholou appelle le gouvernement à soutenir davantage son initiative. « Pour que cette forêt puisse continuer à jouer son rôle de conservation de la biodiversité et de puits de carbone dans un contexte de changement climatique, mais aussi contribuer au développement des communautés environnante. Nous attendons une assistance du gouvernement », indique-t-il à la fin de la visite de la forêt.
En attendant cet appui, le Directeur de l’environnement de Yoto lance un appel à toute la communauté de l’ensemble de la préfecture à contribuer à préserver cet écosystème forestier qui est atout majeur pour tous.
« C’est le lieu d’encourager toute la population, voire toute la préfecture de Yoto, à soutenir cette initiative. En effet, la forêt créée à Logové ne profitera pas uniquement aux communautés locales, mais à l’ensemble du territoire, grâce aux nombreux services écosystémiques qu’elle procure. Il est donc essentiel que toutes les communautés de Yoto s’approprient ce projet, afin qu’il soit pérennisé au bénéfice des générations actuelles et futures. Une telle action mérite d’être soutenue et valorisée pour sa portée environnementale et sociale », a-t-il dit.
La population riveraine, exprime aussi quelques besoins comme les infrastructures sociales de base. « Nous avons besoins d’un moulin, mais aussi de l’eau et de l’ouverture d’une piste rurale. Ces moyens de subsistance vont nous encourager davantage à protéger la forêt », dit Glawdis Adjaho.
Image de bannière : Une vue sur la forêt de 26 hectares créée par Hilaire Koami Adjaholou à Logové, une localité située au sud-est du Togo, dans la région Maritime, pour préserver la biodiversité. Image de Charles Kolou pour Mongabay.
Source : https://fr.mongabay.com/