
Les précipitations autour de la Méditerranée sont restées stables depuis 1871, indique une étude. Mais la hausse des températures provoque des sécheresses plus fréquentes.
C’est une étude d’une ampleur inédite sur l’histoire de la météo de la Méditerranée. Des dizaines de chercheurs issus des quatre coins du bassin ont rassemblé les données les plus exhaustives possibles sur l’évolution des précipitations, collectées dans plus de 23 000 stations météorologiques partout dans la région. Avec une conclusion forte et contre-intuitive à la clé, publiée le 12 mars dans la revue Nature : de 1871 à 2020, en moyenne sur l’ensemble de la région, les précipitations sont restées stables.
« C’est un sujet qui était fortement débattu lors de la rédaction du dernier rapport du Giec, souligne Yves Tramblay, directeur de recherche en hydrologie à l’Institut de recherche pour le développement et co-auteur de l’étude. Certains chercheurs voulaient absolument indiquer une tendance à la baisse des précipitations en Méditerranée, sur la base de quelques études, mais aucune n’a réuni autant de données que la nôtre. »
La région méditerranéenne est marquée par une forte variabilité des précipitations et des tendances locales parfois fortes, selon l’échelle spatiale et temporelle envisagée. Mais en disposant de données sur une très longue période et sur toute la région, les chercheurs ont pu éviter quelques écueils.
Variabilité naturelle du climat
Par exemple, si l’on regarde l’évolution des pluies depuis 1951, on pourrait conclure à une tendance à la baisse sur la région, d’environ 5 %. Mais si l’on mesure les précipitations entre 1981 en 2020, on conclut au contraire à une tendance à la hausse de 8 %… Finalement, en prenant l’ensemble des données depuis 1871, les courbes indiquent une stabilité globale des volumes de précipitations annuelles sur la période.
L’autre conclusion des auteurs de l’étude, c’est que la forte variabilité interne des précipitations en Méditerranée, ainsi que leur stabilité sur le temps long, sont guidées par la variabilité des mécanismes de circulation atmosphérique. Notamment par l’influence sur la région de l’oscillation nord-atlantique et de l’oscillation méditerranéenne.
En d’autres termes, la variabilité naturelle du climat a, jusqu’à présent, été responsable de l’évolution des précipitations en Méditerranée, et non le changement climatique d’origine humaine.
Des modèles climatiques de plus en plus précis
Disposer de données fiables sur l’évolution climatique passée de la région est crucial pour les scientifiques, car le cycle de l’eau est particulièrement complexe à modéliser. Il est influencé par de nombreuses boucles de rétroactions et les modèles construits par les climatologues ont beaucoup plus de mal à projeter des tendances robustes sur l’évolution des pluies que sur celles des températures.
« Ces données vont servir à nourrir les modèles, d’une part, et vont permettre de les corriger d’autre part, en confrontant ce qui en sort avec ce que l’on sait du passé. On pourra avoir des projections un peu plus robustes grâce à ça », se réjouit Yves Tramblay.
La bonne nouvelle, c’est que les modèles climatiques sont de plus en plus précis. La plupart d’entre eux produisent des simulations, pour la période passée étudiée, cohérentes avec les résultats issues des observations, notent les auteurs de l’étude. Et les derniers modèles, dits CMIP6, ceux utilisés pour le sixième et plus récent rapport du Giec, sont ceux qui produisent les simulations les plus performantes.
Des pluies moins bien réparties sur l’année
La mauvaise nouvelle, c’est que ces mêmes modèles indiquent que les choses vont empirer à l’avenir, les effets du changement climatique devenant de plus en plus perceptibles. Les précipitations vont « probablement » baisser de 4 à 22 % dans la région, selon les scénarios de réchauffement envisagés, indique le dernier rapport du Giec. Pour le sud et le centre de la région, la baisse devrait être d’environ 4 % pour chaque degré de réchauffement global supplémentaire.
À cela s’ajoute le fait que les températures, elles, ont déjà commencé à grimper et vont continuer à le faire : même à volume de précipitations constant, cela entraîne une hausse de l’évaporation, donc des sécheresses des sols plus fréquentes et intenses.
Le changement de régime des pluies est une autre subtilité à prendre en compte : si elles tombent moins l’hiver et plus au printemps, si elles se concentrent davantage lors d’événements extrêmes favorisant leur ruissellement, elles deviennent moins efficaces et sont donc moins disponibles pour les besoins des habitants de la région, humains et non-humains.
« On n’a pas encore de tendance à long terme sur l’évolution des pluies extrêmes sur l’ensemble de la région. Cela fait partie des travaux à venir », dit Yves Tramblay.
Pour continuer d’améliorer les simulations climatiques, il est primordial de préserver les réseaux de stations météorologiques, d’en conserver précieusement les archives et de déployer de toute urgence des bases de données dans les régions du monde où elles font défaut, concluent les auteurs de l’étude. Un message qu’il est plus crucial que jamais de marteler, au moment où les politiques étasuniennes de démantèlement des sciences climatiques déstabilisent toute la communauté de recherche.
Source : https://reporterre.net/