
Le Chili figure parmi les pays les plus touchés par la pollution atmosphérique en Amérique du Sud. Dans la province de Chacabuco, au nord de Santiago, l’air est chargé en polluants métalliques issus des activités minières et industrielles. Pourtant, cette contamination reste invisible à l’œil nu, rendant son évaluation complexe.
Une équipe de chercheurs du laboratoire Géosciences environnement Toulouse (GET-OMP – CNES/CNRS/IRD/Université de Toulouse) et du laboratoire de Géographie de l’environnement (GEODE – CNRS/Université Toulouse Jean Jaurès) a décidé d’allier science et savoir populaire pour mieux comprendre cette pollution. Leur approche repose sur une combinaison de témoignages d’habitants et d’analyses géochimiques sur le terrain, une méthode permettant d’obtenir une vision plus globale du phénomène.
Une région classée zone de sacrifice
Le terme “zone de sacrifice” désigne des territoires où la qualité de vie est durablement altérée par des activités industrielles. Chacabuco en est un exemple frappant : usines, exploitations minières et infrastructures de transport s’y côtoient, libérant dans l’air une quantité inquiétante de particules polluantes.
D’après un rapport de l’OCDE publié en 2024, 98,6 % de la population chilienne est exposée à des risques sanitaires liés à la pollution atmosphérique. Ces particules fines et métaux lourds, une fois inhalés, peuvent provoquer des maladies respiratoires, cardiovasculaires et, dans certains cas, des cancers.
Les habitants de Chacabuco ont rapidement fait part de leur inquiétude aux scientifiques. Leur perception du danger a joué un rôle central dans cette étude : ils ont identifié les zones les plus touchées, permettant ainsi d’orienter les analyses.
Tillandsia bergeri, une sentinelle végétale
Pour quantifier cette pollution, l’équipe de recherche a misé sur une plante étonnante : Tillandsia bergeri. Cette épiphyte d’Amérique latine n’a pas de racines terrestres et puise directement ses nutriments dans l’air ambiant. Elle absorbe ainsi les particules métalliques présentes dans l’atmosphère, devenant un indicateur naturel de pollution.
En exposant ces plantes dans plusieurs zones de Chacabuco sur une période de plusieurs mois, les scientifiques ont pu observer une accumulation significative de métaux lourds tels que l’arsenic, le cuivre, le chrome et le zinc. Plus la concentration de ces éléments était élevée dans les tissus végétaux, plus l’air ambiant était contaminé.
Une menace sous-estimée
Les analyses ont confirmé ce que les habitants ressentaient : l’air de Chacabuco est bel et bien pollué. Toutefois, l’étude révèle un paradoxe inquiétant : les mesures ponctuelles n’indiquent pas de danger immédiat pour la santé humaine, mais la contamination chronique sur plusieurs mois suggère un risque sanitaire à long terme.
Les particules métalliques, une fois inhalées, s’accumulent progressivement dans l’organisme. Les effets ne se manifestent pas immédiatement, mais une exposition prolongée augmente considérablement les risques de maladies graves.
Science et perception locale : un dialogue essentiel
L’un des apports majeurs de cette étude est d’avoir démontré une corrélation entre la perception des habitants et les données scientifiques. Ces derniers n’avaient pas accès aux analyses de laboratoire, mais ressentaient intuitivement la dégradation de leur environnement. Leur vigilance et leurs observations ont donc été essentielles pour guider la recherche.
Cette collaboration entre scientifiques et citoyens prouve que l’expérience locale peut être un atout précieux dans la surveillance environnementale. Intégrer les connaissances empiriques des populations exposées pourrait améliorer les stratégies de lutte contre la pollution, notamment en identifiant plus rapidement les zones critiques.
Et maintenant ?
Les chercheurs recommandent l’utilisation de Tillandsia bergeri comme outil de biomonitoring de la qualité de l’air. Cette méthode, peu coûteuse et non invasive, pourrait être adoptée dans d’autres régions confrontées à des pollutions similaires.
En parallèle, des mesures plus strictes devraient être mises en place pour limiter les émissions industrielles et protéger les populations locales. Sans action rapide, la pollution continue son œuvre silencieuse, avec des conséquences qui ne se révéleront pleinement que dans plusieurs décennies.
Source : https://media24.fr/