Lors des rencontres de l’Afcome, plusieurs analystes ont proposé des projections sur ce à quoi pourraient ressembler, dans les années à venir, le marché des engrais. L’Europe, qui a connu une baisse de sa production, pourrait également accuser un ralentissement de sa consommation.

Les 7 et 8 novembre, au Grand palais de Lille, les fabricants d’engrais ne cachaient pas leurs inquiétudes pour la campagne à venir. Suite aux résultats décevants de la campagne, les agriculteurs manquent de trésorerie pour réaliser des investissements. Les distributeurs ne souhaitent pas s’engager sur des volumes auprès des fournisseurs, résultat, les usines fonctionnent au ralenti.
« La volatilité des prix conduit à ce que personne, dans la chaîne de valeur, ne veuille prendre de risques, explique Pavel Hanus, directeur commercial d’Agrofert. Le danger, si les entrepôts sont pleins et que les commandes n’arrivent pas, c’est que les usines ferment temporairement. » Des fermetures qui ne seraient pas sans rappeler l’année 2022, où le prix du gaz a contraint les sites industriels européens à ralentir leur activité.
Pour compenser la chute de la production, l’Europe a importé des engrais
« En 2022, l’Europe a connu une chute de 70 % de capacité de production d’engrais azotés, rappelle Monica Marucci, responsable de l’observatoire européen des engrais. La situation s’est améliorée en 2023, et cette année, nous en sommes à à peu près 80 % de la capacité de fabrication habituelle. »
Pour compenser la chute de fabrication domestique, l’Europe a massivement importé des engrais. Si en 2022, suite aux sanctions européennes, la Russie a enregistré une baisse de ses exportations à destination de l’UE de l’ordre de 7 % par rapport à la moyenne 2014-2021, elle est rapidement redevenue le principal fournisseur d’engrais azoté de l’Europe, avec 28 % de parts de marché en 2024. La Biélorussie, elle aussi visée par les sanctions, et qui avait vu ses exportations de potasse chuter, est en train de revenir sur les marchés européens.
Des prix des engrais équilibrés en 2024
Côté cours, la baisse des exportations d’urée et de phosphates chinois, au cours du premier semestre 2024, ont crispé les prix, même si, depuis, les exportations ont repris.
Autre facteur haussier : les guerres en mer Noire et au Moyen-Orient ont conduit à une réorientation des flux logistiques. Les échanges transitant par le canal de Suez n’ont, par exemple, atteint que 6 % des échanges mondiaux, contre 14 % en temps normal, les paquebots ayant plutôt contourné le continent africain.
Enfin, après la chute des prix de la potasse, suite aux sanctions européennes, l’intérêt des acheteurs mondiaux pour cette commodité a fait remonter ses cours. Le retour de la production dans les pays qui avaient été sanctionnés et la réduction de la volatilité du gaz ont, a contrario, détendu les marchés.
Le prix de l’azote en baisse dans les années à venir ?
La consommation d’engrais mondiale, qui avait baissé de 4 % en 2022-2023 par rapport à 2021, pourrait, en 2024, revenir au niveau de l’année record 2020, d’après l’IFA, International Fertilizer Industry Association. Si la Chine et l’Amérique latine devraient driver la consommation, l’Europe accuserait plutôt une baisse de l’utilisation de fertilisants minéraux.
En cause, la hausse globale des surfaces dédiées à l’agriculture biologique, l’importation de céréales ukrainiennes, faisant diminuer les surfaces destinées aux grandes cultures, et le durcissement des législations allemandes et anglaises sur l’utilisation des engrais.
« Sur un plus long terme, nous pensons que le rythme de consommation des engrais va décélérer à partir de 2025 en raison d’un ralentissement de la croissance de la population mondiale, et donc de la production agricole », pointe Hanna Chtioui, analyste des marchés miniers pour l’IFA. L’azote serait particulièrement concerné, avec un surplus estimé à 5 Mt en 2028, ce qui conduirait son prix à baisser.
D’ici 2028, de l’azote qatari et de la potasse brésilienne ?
« D’ici 2028, l’essentiel des nouvelles capacités de production des engrais devrait venir de la Russie, de l’Europe de l’est et de l’Asie centrale, estime Hanna Chtioui. Si les projets russes sont conventionnels, s’appuyant sur du gaz naturel, l’Asie du sud-est mène un mix de projets à base de gaz naturel et de projets d’ammoniac vert, et les Etats-Unis investissent fortement dans les technologies décarbonées. »
Le Qatar, l’Arabie saoudite et l’Australie se lancent également dans la course à l’azote décarboné. Les projets de développement des engrais de fond se concentrent au Maroc, en Arabie Saoudite, au Brésil, en Inde et en Egypte pour les phosphates, et en Russie, au Laos et au Canada pour les fertilisants potassiques.
Source : https://www.terre-net.fr/