
Les origines des écosystèmes terrestres ont longtemps intrigué les scientifiques. Une découverte récente bouleverse notre compréhension de l’évolution du règne végétal. Des chercheurs de l’Université de Toulouse ont identifié un transfert génétique crucial entre un champignon et l’ancêtre commun des plantes terrestres. Cette révélation pourrait expliquer comment les premières plantes ont réussi à quitter les océans pour coloniser les terres émergées il y a environ 500 millions d’années.
La révolution scientifique des bryophytes
L’étude publiée dans Nature Genetics le 17 février 2025 met en lumière l’importance des bryophytes, communément appelées mousses, dans la compréhension de l’évolution végétale. « Cette découverte n’aurait jamais été possible si nous nous étions limités aux plantes traditionnellement étudiées », explique Chloé Beaulieu, première autrice de cette recherche révolutionnaire et doctorante à l’université de Toulouse.
Contrairement aux approches scientifiques classiques qui privilégient les angiospermes (plantes à fleurs) pour leur intérêt agronomique, l’équipe toulousaine a choisi d’visiter le génome des bryophytes. Ce choix s’est avéré judicieux car ces organismes partagent un ancêtre commun avec les plantes à fleurs qui vivait précisément à l’époque de la colonisation terrestre par les végétaux.
Les chercheurs ont analysé méticuleusement le patrimoine génétique d’une centaine de spécimens de Marchantia polymorpha, l’hépatique des fontaines. Ces échantillons provenaient de diverses régions d’Europe et des États-Unis, offrant une vision élargie de la diversité génétique de l’espèce. Cette approche innovante a permis de découvrir des traces d’un transfert génétique horizontal entre un champignon et l’ancêtre des plantes terrestres.
Maxime Bonhomme, maître de conférences et co-auteur de l’étude, souligne l’importance de diversifier les espèces étudiées : « Chercher les bryophytes nous offre une fenêtre sur les premières adaptations des plantes au milieu terrestre, bien avant l’apparition des espèces que nous cultivons aujourd’hui. » Cette orientation scientifique inédite confirme que l’étude des espèces non conventionnelles peut conduire à des percées majeures dans notre compréhension de l’évolution.
Le gène qui a changé l’histoire de la vie terrestre
Le transfert génétique identifié constitue un mécanisme évolutif rare mais déterminant. Contrairement à la transmission verticale classique (des parents aux descendants), ce transfert horizontal implique l’acquisition de matériel génétique entre organismes non apparentés. Dans ce cas précis, un champignon a transmis un gène crucial à l’ancêtre des plantes terrestres.
Pierre-Marc Delaux, directeur de recherche CNRS et co-auteur de l’étude, affirme : « Nos travaux montrent que ce gène est associé à l’adaptation au milieu terrestre. Sans lui, les algues n’auraient probablement pas pu s’établir durablement sur la terre ferme. » Ce transfert génétique apparaît donc comme un événement fondateur dans l’histoire évolutive des écosystèmes terrestres.
Les chercheurs ont identifié les fonctions probables de ce gène dans l’adaptation terrestre. Il aurait notamment permis aux premières plantes de faire face aux défis majeurs de la vie hors de l’eau : la gestion de la déshydratation et les interactions avec de nouveaux microorganismes présents dans le sol. Des récepteurs impliqués dans l’immunité végétale et des protéines régulant l’équilibre oxydatif cellulaire figurent parmi les innovations génétiques apportées par ce transfert.
Cette découverte souligne l’importance des interactions entre règnes du vivant dans l’évolution. Les champignons, souvent perçus comme des décomposeurs ou des parasites, apparaissent ici comme des acteurs majeurs ayant contribué positivement à l’évolution des plantes. Cette symbiose génétique précoce entre champignons et plantes aurait ainsi permis l’émergence et le développement des écosystèmes terrestres que nous connaissons aujourd’hui.
Une nouvelle vision de la colonisation terrestre
Cette recherche transforme notre compréhension de l’apparition de la vie sur terre. Il y a environ 500 millions d’années, notre planète était dominée par les océans, avec des terres majoritairement désertiques. Les végétaux existaient uniquement sous forme d’algues aquatiques, incapables de survivre hors de l’eau pour des périodes prolongées.
L’acquisition de ce gène fongique a vraisemblablement fourni aux algues primitives les outils biologiques nécessaires pour s’adapter à un environnement radicalement différent. Cette adaptation génétique a représenté un tournant crucial dans l’histoire de la vie sur Terre, permettant le développement progressif de la flore terrestre, qui a ensuite modifié l’atmosphère et créé des habitats propices à la colonisation par les animaux.
Les implications de cette découverte dépassent le cadre de la biologie fondamentale. Comprendre les mécanismes génétiques qui ont permis aux plantes de s’adapter à des conditions environnementales extrêmes pourrait offrir des perspectives pour l’agriculture face aux défis du changement climatique. Les gènes identifiés pourraient inspirer des stratégies pour améliorer la résistance des cultures à la sécheresse ou aux pathogènes.
Cette étude rappelle également l’importance de préserver la biodiversité dans sa globalité. Les bryophytes, souvent négligées dans les efforts de conservation, apparaissent comme des témoins précieux de l’histoire évolutive des plantes. Leur patrimoine génétique conserve des traces d’adaptations anciennes qui pourraient être cruciales pour comprendre et anticiper les réponses des écosystèmes aux bouleversements environnementaux actuels.
En révélant comment un simple transfert génétique entre un champignon et une plante primitive a pu transformer notre planète, cette découverte nous invite à reconsidérer l’interdépendance fondamentale des organismes vivants dans l’émergence et le maintien des écosystèmes terrestres.
Source : https://www.gre-mag.fr/