
Accentuée par la pollution et le changement climatique, l’allergie aux pollens de cyprès vert et bleu gagne du terrain dans le sud de la France.
Les dernières pluies lui ont offert un répit de courte durée. Avec le retour du soleil, la rhinite et la conjonctivite de Marie-Louise, retraitée héraultaise, sont reparties de plus belle. Le responsable ? Comme pour un tiers des allergiques dans le sud de la France, l’ennemi est le pollen de cyprès.
Il suffit de consulter la carte du risque d’allergies au pollen du Réseau national de surveillance aérobiologique (RNSA), mise à jour quotidiennement, pour constater que tous les départements sont au rouge : de la frontière espagnole à la frontière italienne, le risque d’allergie est de niveau élevé. Le 14 février, jour de la Saint-Valentin, le site osait même un trait d’humour : « Amour et pollens sont dans l’air aujourd’hui. »
Rien de surprenant pour l’ancienne institutrice. Chaque année depuis quarante ans, elle est en grande souffrance dès la fin du mois de janvier, quand les cyprès commencent à polliniser. L’allergie lui provoque également une toux chronique très fatigante. « Allergique également aux graminées et aux acariens, je tousse du 1er octobre au 30 avril. C’est handicapant mais il faut bien s’y faire », raconte-t-elle, résignée.
Crises d’asthme sévères et chocs anaphylactiques
Si la forme d’allergie de Marie-Louise n’est pas grave, car maîtrisée par un traitement à base d’antihistaminiques de deuxième génération (sans endormissement) de corticoïdes nasaux et de paracétamol, il n’en est pas de même pour tout le monde. Au service d’allergologie du Pr Pascal Demoly, au CHU de Montpellier, les cas d’allergie sévère aux pollens cyprès se comptent par milliers.
« On rencontre davantage d’asthme pollinique, alors que le cyprès n’en était pas pourvoyeur il y a vingt ans. Il y a aussi des syndromes combinés, pollens/aliments, entre le pollen de cyprès, la pêche et les agrumes, qui peuvent engager le pronostic vital. » Cette association, découverte en 2017, est régulièrement la cause de chocs anaphylactiques.
En France, un millier de patients décèdent chaque année à la suite de graves crises d’asthme allergiques. À Montpellier, le Pr Demoly ne déplore pas de décès, mais quelques chocs sévères avec arrêts cardiorespiratoires. « Les jeunes patients, heureusement, parviennent à récupérer », rassure-t-il.
Selon l’allergologue, les cyprès (notamment bleus d’Arizona et hybrides), massivement plantés en Paca et en Occitanie depuis les années 1970 « sont une horreur, car ils pollinisent plus fort et plus souvent que le cyprès florentin originellement importé par les Romains ». Le cyprès peut polliniser dès octobre, mais principalement de février à avril, avec des pics monstrueux. « Après le froid, et par fort vent, on compte des milliers de grains par mètre cube, ce qui explique la violence des crises chez certains patients », précise le Pr Demoly.
La quantité de pollens joue un rôle clé dans la violence des allergies. « C’est une notion fondamentale, explique Jean-Pierre Girard, directeur de recherche à l’Inserm à Toulouse. Et comme il y a des cyprès partout dans les espaces publics, dans les jardins, le long des voies ferrées et des autoroutes, une très grande quantité est transportée par le vent ». C’est en effet par le vent et non pas par les insectes que se fait la pollinisation de ces arbres de la famille des cupressacées.
Le rôle de la pollution aux particules fines
« L’aggravation des symptômes a des causes multifactorielles », avancent les chercheurs. Les pollutions, notamment aux particules fines, expliquent en partie les inflammations de type 2. « Plus le pollen est petit, plus il va pénétrer dans les voies respiratoires, explique Jean-Philippe Girard de l’Inserm. Comme la pollution fragmente les grains de pollen, elle maintient l’inflammation au niveau des barrières épithéliales, nez ou poumons. » Une exposition pendant plusieurs semaines, avec une répétition, provoque une réaction plus forte due à une inflammation chronique. « Comme dans toute maladie inflammatoire, d’autres facteurs sont avancés pour expliquer la sévérité des symptômes, ajoute le Pr Demoly : la comorbidité, une alimentation déséquilibrée inflammatoire, l’absence d’exercice, etc. »
Le processus d’inflammation joue un rôle crucial. L’épithélium pulmonaire, ce tapis de cellules qui constitue la surface interne des poumons, est reconnu comme un acteur majeur de l’inflammation respiratoire à l’origine de ces maladies. « Il produit en permanence des petites protéines, des “alarmines”, signaux qui vont être libérés dès qu’un grain de pollen ou une moisissure arrive, explique Jean-Philippe Girard, à l’origine de cette découverte il y a vingt ans. En une dizaine de minutes, on a une réaction en cascade. »
Les « alarmines », cibles thérapeutiques majeures
De récents travaux ont permis au chercheur, associé au CNRS et à l’université de Toulouse, de découvrir une nouvelle alarmine dans les poumons, activée par la protéine majeure du pollen de cyprès. Les alarmines constituent donc des cibles thérapeutiques d’intérêt majeur. « Dans quelques années, des traitements à base d’anticorps bloquant l’alarmine TL1A pourraient bénéficier aux patients souffrant d’asthme sévère ou d’autres maladies allergiques. »
Pour l’instant, seuls les traitements à base d’antihistaminiques, associés à des corticoïdes pour les formes sévères existent. « L’immunothérapie allergénique, qui existe depuis plus d’un siècle, est également efficace chez au moins la moitié des patients », précise le Pr Demoly. Elle consiste à administrer, pendant trois ans, des extraits d’allergènes à doses progressives, de façon à « éduquer » le système immunitaire, lui réapprendre à tolérer ces pollens. « Sans amélioration au bout d’un an, nous arrêtons la désensibilisation », précise le Pr Demoly.
« Mais quand elle fonctionne, elle fonctionne très bien, et pour une durée de dix ans environ », insiste-t-il. Passé ces dix ans, il faut recommencer chez certains. Le chef du service allergologie du CHU de Montpellier appelle de ses vœux une mise sur le marché d’un comprimé sublingual, développé par un laboratoire japonais en partenariat avec un laboratoire danois, « car la forme galénique est très appropriée et les études en double aveugle ont démontré son efficacité ».
Privilégier la diversité des arbres
L’allergie n’est pas à prendre à la légère. Outre les cas graves d’asthme, la fatigue, les maux de tête, la perte de concentration, les arrêts de travail sont à mettre sur le dos des allergies respiratoires. « La qualité de vie est mise en danger, et l’impact social ne doit pas être occulté », alerte le Pr Demoly, qui rappelle que « l’allergie déstructure le sommeil sans réveiller, mais sans récupération, ce qui conduit à de grandes difficultés scolaires chez les enfants ». Une étude anglaise a ainsi révélé que les élèves souffrant d’allergie obtenaient, à niveau équivalent, un grade de moins à l’équivalent du baccalauréat, sans possibilité alors de s’inscrire à l’université.
Peu à peu, certaines villes, comme Toulouse ou Bordeaux, font le choix de planter des arbres avec des pollens moins allergisants… « La clé, c’est la diversité des essences de plantes et d’arbres », pour les collectivités comme les particuliers, rappelle le Pr Demoly. Des recherches sont également en cours sur le cyprès du Tassili, une espèce originaire d’Algérie ne produisant pas de pollen, mais aujourd’hui en voie d’extinction puisqu’il n’en existe plus que quelques centaines à l’état sauvage.
En attendant, bien suivre les recommandations du ministère de la Santé pendant les périodes polliniques reste un moindre mal : éviter les activités extérieures, surtout quand il y a du vent, aérer dix minutes au petit matin ou à la tombée du jour quand les pollens retombent, étendre son linge de lit à l’intérieur, se rincer les cheveux le soir, et éviter d’aggraver les symptômes par le tabac, les produits d’entretien, parfums…
Source : https://www.lepoint.fr/