
Grâce à l’aromachologie, qui étudie l’influence des odeurs sur notre psychisme et leur faculté à améliorer notre bien-être, de nouvelles pistes s’ouvrent pour la gestion des émotions.
Vous sentez le stress vous envahir quelques minutes avant de prendre la parole en public ? Respirez la fleur d’oranger. Vous papillonnez, n’arrivez pas à vous concentrer ? Essayez la citronnelle. Vous vous trouvez un peu déprimé ? Choisissez le jasmin. Et si les senteurs, snobées jusqu’à peu par la science, contenaient la clé pour agir sur nos émotions ? Et si quelques notes boisées appliquées le matin au réveil nous donnaient suffisamment confiance en nous pour la journée ? C’est en tout cas ce qu’explore l’aromachologie, qui étudie l’influence des odeurs sur notre psychisme et leur faculté à améliorer notre bien-être au quotidien.
En combinant la neurobiologie, la psychologie cognitive et la chimie analytique, cette science interdisciplinaire analyse les mécanismes complexes par lesquels les stimulus olfactifs influencent les processus cérébraux et les réponses émotionnelles.
L’odorat, sens primaire de l’homme
Des études en neuro-imagerie fonctionnelle, qui utilisent des techniques comme l’IRM, permettent notamment de cartographier les réseaux neuronaux activés lors de l’exposition à différentes odeurs. Et, là, c’est la révélation : des patterns d’activation spécifiques sont bien associés à diverses réponses émotionnelles et cognitives. Sur le plan biochimique, l’aromachologie examine les composants volatils responsables des effets psychoactifs des odeurs. Des analyses chromatographiques couplées à la spectrométrie de masse permettent aussi d’identifier les molécules clés dans les huiles essentielles ou d’autres substances odorantes. Par exemple, le linalol, un composé présent dans la lavande, a été associé à des effets anxiolytiques dans plusieurs études cliniques.
« Le sens olfactif a totalement disparu de notre société, raconte Jérémie Topin, docteur en chimie théorique, aujourd’hui chef de projets innovants à l’université de Côte d’Azur. Or, l’odorat est le sens primaire de l’homme. Le chemin neurologique de l’odorat suit celui des émotions jusqu’au cerveau limbique. Les odeurs sont réceptionnées dans le nez par le bulbe olfactif, constitué de milliers de récepteurs. Ceux-ci transforment les molécules odorantes en messages envoyés au système limbique, qui sont ensuite transmis à l’hypothalamus et au thalamus, soit à nos mécanismes inconscients et conscients. »
Ces vertus du parfum, qui impacterait à la fois physiquement et psychiquement l’individu, ne datent pas d’hier. Dès 8500 avant Jésus – Christ, les hommes faisaient se consumer des aromates pour entrer en communion avec les dieux. On notera que Per fumum, en latin, l’origine étymologique du mot parfum, signifie « par la fumée ». Dans l’Égypte ancienne, on brûlait la myrrhe, résine aromatique produite par le balsamier, au coucher du soleil, pour calmer l’anxiété et améliorer le sommeil. Dans la Grèce antique, les effluves de safran étaient utilisés pour favoriser l’endormissement. Au Moyen Âge, on reconnaît à la lavande, au romarin ou à la sauge des vertus médicinales. « Depuis le Covid, on a réintégré l’idée que le parfum peut faire du bien, qu’on ne le porte plus nécessairement en société mais pour son bien-être, souligne Céline Manetta, responsable en science du consommateur chez International Flavors and Fragrances (IFF). Il est considéré comme un auxiliaire de l’épanouissement personnel. »
Une palette olfactive pour augmenter nos performances
Ainsi, selon les chiffres de l’IFF, en 2021, 87 % des personnes interrogées souhaitaient porter un parfum « qui apporte des bénéfices émotionnels et physiques ». Des chiffres depuis lors en constante augmentation. « Au-delà de la performance attendue pour une fragrance – longévité, intensité –, aujourd’hui, la dimension du bien-être devient omniprésente. Désormais, pour qu’un parfum fasse mouche, il ne suffit plus qu’il sente bon : il doit aussi nous faire nous sentir mieux et augmenter nos performances ! »
Pour ce faire, les maisons de composition de parfums disposent aujourd’hui de bases de données qui permettent aux nez de relier les ingrédients ou les accords de leur palette olfactive à des ressentis psycho-émotionnels. C’est alors que les algorithmes entrent en jeu pour assister les parfumeurs dans la création en les orientant vers des pistes olfactives privilégiées, selon les effets recherchés : séduction, désinhibition, confiance en soi…
Cette initiative permet aussi de prédire la façon dont le parfum va être perçu, avant même qu’il soit créé, grâce à des programmes comme MoodScentz, imaginé par Givaudan, ou Science of Wellness, signé IFF. « Depuis quarante ans, nous avons pu tester plusieurs milliers d’ingrédients et d’associations. Cela nous permet de mieux percevoir les synergies, ou parfois de confirmer une intuition de nos parfumeurs », poursuit Céline Manetta, non sans rappeler que l’IA ne remplace pas la créativité olfactive. Avec le nez Juliette Karagueuzoglou, elle a notamment travaillé sur le projet, initié par la reine du make-up, Charlotte Tilbury, de lancer une collection de parfums « boosters d’émotions ». « Cosmic Power a été pensé spécifiquement pour donner confiance en soi, pour procurer un sentiment de puissance. On a travaillé un mélange équilibré de notes florales épicées composé d’accords d’encens, d’huile de bergamote, de muscs, d’huile d’élémi et de rose », se souvient Juliette Karagueuzoglou.
Du cèdre pour les super-héros
Pour confirmer l’accord parfait, les fragrances sont ensuite testées cliniquement sur un panel de personnes. On mesure alors les variations du rythme cardiaque, la sudation, la température du corps, la production de salive ou la dilatation des pupilles pour analyser les effets produits. « Bien sûr, chaque individu est différent. Tout le monde a sa propre madeleine de Proust, ses associations apaisantes ou angoissantes, relève Jérémie Topin. J’évoquais il y a quelques années, lors d’un congrès, l’odeur relaxante de l’herbe fraîchement coupée lorsque quelqu’un me confia que c’était pour lui un cauchemar, un pénible souvenir de dimanches matin où son père le forçait à tondre la pelouse. Mais si chacun ressent les choses différemment, la science permet au moins aujourd’hui de proposer des formules qui, scientifiquement, conviennent au plus grand nombre. »
Alors, quel parfum achète-t-on pour avoir l’aplomb d’un super-héros ? Du cèdre, nous confie-t-on dans le creux de l’oreille. N’est-ce pas déjà avoir repris confiance en soi que d’y croire ?
Source : https://www.lepoint.fr/