
Les espèces du genre Rosa constituent un des groupes ornementaux les plus importants au niveau économique à cause de leur popularité en tant que fleurs de jardins et fleurs coupées mais aussi pour la production d’huile essentielle et d’autres produits de l’industrie de la parfumerie.
La culture des roses à parfum
Les roses sont utilisées pour leurs parfums depuis l’antiquité. Les Romains, par exemple, étaient de grands consommateurs de parfums de roses, notamment pour embaumer l’air de leurs thermes. Cependant, l’industrie du parfum de la rose connaît vraiment son essor avec l’utilisation de la distillation. Avant, des huiles parfumées étaient obtenues par les procédés d’enfleurage et de macération[1]. La chute de Rome au Ve siècle entraîne avec elle un déclin de l’utilisation du parfum en Europe occidentale. Elle est toutefois conservée, tout comme la culture des roses, pendant le Haut Moyen-âge par les Arabes. La première trace écrite de commercialisation d’un extrait de rose en quantité importante mentionne un tribut de 30 000 bouteilles d’eau de rose par an, de la province du Faristan (Iran) au Califat de Bagdad (Irak), entre 810 et 817. Les Croisés réintroduisent véritablement l’utilisation du parfum en Europe. Un noyau industriel de la parfumerie commence alors à se développer autour de Gênes en Italie et l’eau de rose redevient un des parfums les plus prisés. En France, la région de Grasse, alors célèbre pour sa tannerie et sa ganterie, est l’un des plus importants centres de production de parfum. Le parfum sert par exemple à parfumer les gants, spécialité de cette ville provençale, pour masquer la mauvaise odeur du cuir neuf. La distillation des fleurs de rose pour la production d’huile essentielle démarre probablement à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècle et peut-être de manière indépendante en Europe et au Moyen-Orient. La première trace écrite d’exportation de parfum de l’ère moderne date de 1860. A cette époque, l’Empire Ottoman, qui comprenait aussi l’actuelle Bulgarie, expédiait 1 100 kg d’attar de rose vers la France et l’Angleterre. Aujourd’hui, La production mondiale d’huile essentielle et de concrète est estimée à environ 15 tonnes par an, dont environ 5 tonnes d’huile essentielle. La Turquie et la Bulgarie sont les deux principaux producteurs (environ 80% du total). Bien que les quantités produites soient moindre, l’Iran, la Chine, l’Egypte, la France et l’Inde sont aussi des acteurs majeurs du secteur.
La rose de Damas (Rosa x damascena Mill.) est l’espèce la plus utilisée pour la production d’huile essentielle à destination de la parfumerie. Ce n’est pas une espèce botanique mais une variété horticole, probablement cultivée depuis très longtemps et incluant plusieurs formes et cultivars. La fleur, semi-double, a environ 30 pétales très parfumés. Elle est sans doute née au Moyen-Orient comme le suggère son nom. Plantes, systèmes de culture et techniques d’extraction ont probablement été importés d’Anatolie au XVIe siècle. Sa culture en Bulgarie pour la production d’huile essentielle est bien établie dans la région de Kazanlik à la fin du XVIIe siècle, alors sous domination de l’Empire Ottoman. C’est à cette localité que l’on doit le nom du fameux cultivar utilisé aujourd’hui pour la production des meilleures huiles essentielles : R. x damascena ‘Kazanlik’. Nichée au pied des Balkans, cette plaine porte le nom de ‘‘Vallée des Roses’’, nom qu’elle tire des immenses champs et coteaux dédiés à la culture de la rose. Le climat et la nature du sol sont très favorables à cette culture et la Bulgarie est aujourd’hui encore un important producteur d’huile essentielle. A la fin du XIXe siècle, plantes et techniques bulgares sont rapatriées en Anatolie dans les régions du Burdur et d’Isparta, faisant de la Turquie l’autre principal centre de production de parfum de rose. R. x damascena n’est pas la seule espèce de rose cultivée pour le parfum. R. x centifolia L. (rose de mai ou rose de Grasse) est l’autre variété cultivée dans ce but. Cependant, son rendement avec la technique d’hydrodistillation étant médiocre, elle sert à obtenir une concrète par extraction au solvant, principalement en France. Elle possède des fleurs très parfumées et très doubles. C’est un hybride horticole complexe d’origine mal connue, formé à partir de plusieurs roses botaniques dont R. gallica, R. canina et d’autres. En France, il ne reste à Grasse qu’une production de quelques hectares de certains hybrides de R. x centifolia destinés à la fabrication des parfums de luxe. Bien d’autres cultivars de rose ont été évalués pour la production d’huile essentielle. Ainsi, au tout début du XXe siècle, des hybrides de R. rugosa spécialement destinés à l’industrie du parfum ont été sélectionnés. Aucun n’a pu être rentabilisé pour l’industrie. De cette tentative avortée il nous reste néanmoins le cultivar ‘Rose à parfum de l’Haÿ’ qui orne de nombreux jardins. R. x alba L. est aussi parfois utilisée pour délimiter les parcelles de R. x damascena en Bulgarie et en Turquie ; ses fleurs, beaucoup moins riches en huile essentielle, sont récoltées pour produire une huile de moins bonne qualité. Plus localement, R. moschata (Europe méridionale, Afrique du nord, Asie), R. gallica, R. rugosa et R. bourboniana (Turquie, Bulgarie, Russie) sont aussi cultivées pour la production d’huile essentielle, d’eau de rose ou d’autres formes de parfum. On trouve aussi actuellement quelques cultures ou cueillettes particulières : R. x hybrida cv. ‘Liv Tyler’ pour la gamme de parfum et eau de toilette « Very Irresistible » de Givenchy ; cueillette certifiée Bio de graines de R. moschata des Andes chiliennes. Enfin, plusieurs variétés, par exemple des hybrides entre R. rugosa et R. sertata, sont aujourd’hui cultivées en Chine pour la production d’huile essentielle et ce pays ambitionne de devenir à terme un acteur majeur du secteur.
Les techniques d’extraction du parfum de la rose
De nos jours, l’hydrodistillation est le procédé le plus courant pour l’obtention des huiles essentielles. Dans cette technique, les pétales sont plongés dans un grand volume d’eau chauffé à 100°C. La vapeur émise par ébullition du mélange se condense après refroidissement dans un serpentin. Par décantation, on obtient finalement une couche d’eau de rose, surmontée de l’huile essentielle. Cette extraction demandant beaucoup de main d’œuvre, les paysans sont parfois organisés en coopératives pour utiliser des alambics de grande capacité. Ils sont capables de distiller 500 kg de fleurs dans 1500 l d’eau. Le chauffage de l’eau dure 30 min et la distillation 1 h 30. Cinq cents litres de condensat sont recueillis de cette distillation des fleurs. Afin d’optimiser l’extraction, celle-ci se fait en deux étapes. Une première couche d’huile « directe » (environ 20% du volume final d’huile) se forme par décantation sur la première eau de rose. 1200 l de cette première eau de rose sont distillés à nouveau pendant 1 h pour obtenir 140 l de seconde eau de rose surmontée d’une couche « d’huile d’eau » après décantation (environ 80% du volume final de l’huile). L’huile directe est laissée plusieurs jours au soleil pour précipiter les impuretés et décanter l’eau. L’huile d’eau est brièvement filtrée puis les deux huiles sont mélangées. On obtient ainsi l’huile essentielle de rose, en même temps que les eaux de rose qui sont récupérées et mélangées. L’huile essentielle de rose porte aussi le nom d’essence de rose ou encore d’attar de rose. Attar vient du turc attar, lui-même dérivé du farsi aettr qui désigne un corps gras.
La production de 1 kg d’huile essentielle de rose nécessite la distillation de 3 à 5 tonnes de roses, soit l’équivalent d’environ 200 millions de pétales. En conséquence, le prix de l’huile essentielle est assez élevé, de 5000 à 7000 €/kg en fonction des provenances. Un champ de R. × damascena produit environ 1,5 tonnes de fleurs par hectare dès la troisième année de plantation puis jusqu’à 5 tonnes/ha les années suivantes, pendant une trentaine d’années s’il est bien entretenu, avant le remplacement des pieds. Les fleurs de rosier sont ramassées à la main, une par une, au moment où la concentration en parfum est maximale c’est à dire entre 5 et 9 heures du matin. Idéalement, les fleurs doivent être immédiatement distillées.
La deuxième technique la plus courante pour extraire le parfum des roses est l’extraction par solvant. Dans cette technique, les fleurs, brassées ou non, sont lavées trois fois avec un solvant comme l’hexane. En fin d’extraction, celui-ci est éliminé par évaporation sous vide. L’extraction complète dure environ 5 h et permet d’obtenir la concrète, produit semi-solide concentré en parfums mais aussi en pigments et en cires, qui nécessite d’être traitée par un alcool tiède afin de les éliminer. L’alcool est ensuite refroidi à 0-10°C pour précipiter les cires, puis filtré. L’alcool est alors évaporé sous vide ce qui donne un produit très concentré en molécules odorantes et très cher, l’absolue de rose (1200 à 2000 €/kg). Il faut approximativement 400 kg de roses pour obtenir 1 kg de concrète et 0,5 kg d’absolu.
L’extraction par solvant surpasse aujourd’hui, en terme de volume de production, l’hydrodistillation. Cependant, l’hydrodistillation ayant un rendement très inférieur, les volumes de fleurs traitées pour la fabrication d’huile essentielle restent supérieurs à ceux utilisés pour l’extraction au solvant. L’extraction par solvant et l’hydrodistillation sont toutes les deux utilisées en Bulgarie pour la production d’huile essentielle de R. × damascena cv. ‘Kazanlik’. Par contre, seule l’extraction par solvant est utilisée en Francec où y est majoritairement cultivée R. × centifolia. En effet, ses fleurs sont moins adaptées à la distillation et donnent un faible rendement par cette technique. L’extraction par solvant présente le désavantage de laisser des traces de solvant dans l’huile essentielle. Les produits issus de cette technique ne peuvent donc pas être qualifiés de Bio, contrairement à ceux issus d’hydrodistillation. L’extraction par solvant a l’avantage de mieux extraire le parfum en pénétrant plus profondément dans les pétales et de se faire à basse température (60-70°C) évitant ainsi de dénaturer certaines molécules sensibles à la dégradation thermique. Cependant l’hydrodistillation est un procédé plus simple à mettre en œuvre, avec une machinerie plus rudimentaire et donc un personnel demandant moins de formation. Selon les parfumeurs, les deux produits, huile essentielle et absolue, ont des propriétés olfactives différentes. Une des différences est la concentration en 2-phényléthanol. Il est très présent dans l’absolu (60 à 75 %) et beaucoup moins dans l’huile (1 à 2 %) à cause de sa solubilité dans l’eau. Aujourd’hui, les deux techniques coexistent car elles donnent des produits aux caractéristiques différentes. Des recherches sur d’autres procédés d’extraction, par exemple avec des fluides supercritiques, sont en cours d’évaluation. Cependant, traiter des pétales frais, donc contenant beaucoup d’eau, avec du CO2 supercritique s’avère difficile et ces techniques ne sont pas appliquées industriellement.

L’utilisation du parfum des roses
Les produits obtenus par les différentes méthodes sont surtout utilisés dans la parfumerie et la cosmétique. Les conditions de ramassage des fleurs de rosier ainsi que le faible rendement d’extraction de l’huile essentielle (0,02 à 0,03%) en font des produits de luxe. Du fait de sa forte concentration et de son prix prohibitif, l’attar est utilisé quasiment exclusivement pour la parfumerie de luxe. De tout temps la rose a été utilisée dans les créations des parfumeurs. On peut citer ‘la rose Jacqueminot’, parfum crée par Coty en 1904 et plus récemment ‘Trésor’, parfum de Lancôme dans lequel la note de rose domine. En 1998, le rosier miniature ‘Overnight Sensation’ a été envoyé pendant 9 jours dans la navette spatiale Discovery. A son retour sur terre, le parfum a été analysé par les chercheurs de la firme Shiseido qui expliquent avoir découvert une composition très différente. Ils s’en inspirent pour décliner leur gamme de parfum ‘Zen’ qui aide à la méditation…
Les produits issus de la rose peuvent également être utilisés comme arômes dans l’industrie agroalimentaire ou dans l’industrie pharmaceutique pour leurs propriétés médicinales. Ainsi, les extraits de R. × damascena ont montré des activités antibactérienne, antioxydante et hépatoprotectrice. Cependant, pour de telles applications, les produits d’extraction par solvant, moins coûteux, ou des molécules synthétiques issues de l’industrie chimique, sont davantage utilisés que l’huile essentielle. L’eau de rose, sous-produit de l’hydrodistillation, est utilisée en cosmétique, en particulier pour les soins du visage. Elle possède par exemple des propriétés astringentes pour la peau. Elle peut aussi être utilisée pour parfumer des confiseries et des pâtisseries.
Les constituants de l’huile essentielle
On a recensé plus de 275 constituants dans l’huile essentielle de rose bulgare. Parmi les composés qui possèdent l’odeur de rose, les alcools comme le géraniol et le nérol, sont les plus abondants. Un composé aromatique, le 2-phényléthanol, possède également une odeur de rose typique qui se retrouve majoritairement dans l’eau de rose. D’autres molécules, présentes à l’état de trace donnent à l’huile essentielle de rose un caractère unique. Certains de ces composés sont des produits de dégradation qui se forment au cours de l’extraction. D’autres molécules sont suspectées d’être allergisantes et divers procédés sont déjà utilisés pour les éliminer de l’huile essentielle.
Aujourd’hui, la qualité de l’huile essentielle de R. x damascena doit répondre aux normes AFNOR NF T 75-345 :1986 et ISO 9842 :2003. Cependant, le rendement et la composition des attars de rose peuvent varier du fait des conditions climatiques et culturales du pays, de la date de récolte et du délai entre la récolte et la distillation. Tous ces facteurs font de chaque attar un produit unique et donc un parfum particulier à chaque région et même à chaque producteur.
L’amélioration de cette production passe maintenant par une connaissance approfondie de la plante. Quelques laboratoires commencent à se pencher sur ce problème en espérant donner de nouvelles idées aux obtenteurs, aux cultivateurs et aux industriels.
Source : https://www.jardinsdefrance.org/