
Comment parler des capacités cognitives et mentales étonnantes des insectes ? Peut-on imaginer que les insectes ressentent des émotions ? Réponses avec Mathieu Lihoreau éthologue et spécialiste des insectes.
Mathieu Lihoreau étudie depuis vingt ans le comportement des insectes (abeilles, bourdons, blattes, mouches, crickets) pour essayer de percer les mystères de leur intelligence. Il publie un nouvel ouvrage, La Planète des Insectes aux éditions Tana, dans la collection « Chroniques sauvages » dédiée au comportement animal et menée par Audrey Dussutour, également directrice de recherche CNRS dans le même laboratoire.
Les insectes avec ou sans conscience ?
En avril 2024, plusieurs centaines de chercheurs ont signé un texte, La Déclaration de New York, pour alerter sur l’existence probable d’une forme de conscience dans le règne animal. L’entomologiste précise l’objectif de cette tribune : « Des travaux récents sur les animaux suggèrent qu’il pourrait y avoir des formes de conscience chez ces animaux. On fait vraiment un pas en avant dans notre évolution conceptuelle et scientifique. Cette proto conscience est très certainement présente dans tout le règne animal. » En attendant de démontrer éventuellement l’inverse, les scientifiques conseillent d’ailleurs d’appliquer un principe de précaution.
Les moustiques apprennent
Pour Mathieu Lihoreau, plusieurs définitions de l’intelligence existent. Mais celle qu’il retient, « c’est la capacité d’un organisme à s’adapter à son environnement et à prendre une décision qui va permettre de lui être bénéfique pour lui. Donc c’est vraiment une flexibilité de comportement. » Avec son petit cerveau, le moustique a-t-il des capacités cognitives ? L’éthologue explique que oui, « des chercheurs ont démontré que les moustiques étaient capables d’apprendre des odeurs, ou des images, et de les garder en mémoire très longtemps, toute leur vie. » On ne sait pas si on leur enseigne comment bien piquer, mais : « Les moustiques apprennent à reconnaître les odeurs des humains. Un moustique qui pique un humain avec une odeur particulière, va, s’il en a encore l’occasion, piquer un humain au même parfum que celui qui a été piqué. » C’est la raison pour laquelle, dans un groupe humain, il y a toujours une même personne qui est piquée : « C’est qu’elle a une odeur plus facilement reconnaissable par les moustiques. » Mais le moustique apprécie une autre odeur que celle des hommes : le CO2 qui va les attirer à grande distance.
Plus intelligente que le moustique, la larve de moustique
Mathieu Lihoreau est admiratif. Et rappelle une expérience : « Les larves de moustique font preuve de capacité d’apprentissage. Elles s’habituent à ne plus répondre à un stimulus qui leur fait peur. Quand on s’approche de larves à la surface de l’eau dans des seaux d’eau stagnante, elles coulent au fond : elles fuient le prédateur potentiel. Mais si vous faites ça cinq ou dix fois, 20 fois au-dessus du même seau de larves, vous voyez qu’à la fin les larves vont arrêter de plonger au fond du seau. »
La douleur chez les animaux : une question complexe
La douleur est une expérience subjective et difficile à mesurer, surtout chez les animaux qui ne peuvent pas s’exprimer avec des mots. Néanmoins, il existe des signes qui nous permettent de supposer qu’un animal peut ressentir la douleur. Dans cette optique, il est important de distinguer la douleur physique de la réaction réflexe (ou « ception ») qui est un mécanisme instinctif visant à fuir une menace pour l’organisme. Un exemple frappant de cette distinction a été observé chez les bourdons, ces insectes capables de prendre des décisions malgré une situation douloureuse. « En 2023, une expérience a été menée où des bourdons avaient le choix entre deux fleurs artificielles : une à température ambiante et l’autre chauffée à 50°C, une température nocive pour leurs pattes. Lorsque les deux fleurs contenaient la même quantité d’eau sucrée, les bourdons choisissaient instinctivement la fleur à température ambiante. Cependant, lorsque la fleur chaude était remplie d’une plus grande quantité d’eau sucrée, certains bourdons se laissaient « brûler » les pattes pour accéder à la nourriture. Ce comportement suggère que, même si les bourdons ressentent la douleur, leur désir de se nourrir peut l’emporter sur leur instinct de fuir. »
Les insectes et leur intelligence collective
Ce phénomène n’est pas limité aux bourdons. Des comportements fascinants existent dans le règne des insectes, comme les migrations massives des criquets pèlerins. Déclenchées par la faim extrême et la compétition pour la nourriture, elles surviennent « Lorsque les criquets manquent de ressources. Ils commencent à se cannibaliser, ce qui déclenche une réaction en chaîne : les criquets mordus commencent à se déplacer pour échapper à leurs congénères affamés. Cette « fuite » des cannibales devient le moteur de la migration. » Une fois en mouvement, ces criquets peuvent parcourir des milliers de kilomètres à la recherche de nourriture, un phénomène observé sur tous les continents. Ce comportement a des implications importantes pour la sécurité alimentaire, notamment en Afrique, où les essaims de criquets peuvent détruire des cultures entières.
Source : https://www.radiofrance.fr/