
Les végétaux sont des êtres mobiles capables de se déplacer plus ou moins loin. Mais comment est-il possible de migrer quand on est une plante, enracinée et, a priori, fixe ? C’est l’histoire que nous vous racontons dans ce quatrième épisode de notre série autour de histoire des migrations.
En 2018, une équipe de scientifiques de l’université d’Edimbourg livrait les résultats d’un étonnant travail sur une forme de vol qui n’avait jamais été observée auparavant dans la nature. Et cela concerne les pissenlits qui pour disperser leurs graines, utilisent le vent et les courants d’air ascendants.
Lorsque le temps est chaud, sec et venteux, certaines graines peuvent parcourir des dizaines voire même des centaines de kilomètres. Ce qui explique d’ailleurs que l’on trouve le pissenlit à peu près partout dans le monde. Pourtant, la drôle de boule de poils qui compose l’aigrette et sur laquelle on s’amuse à souffler est presque vide. Ce qui peut sembler étrange pour accompagner des voyages aériens longues distances.
Sauf que derrière l’envol poétique du « dandelion » comme l’appelle les anglo-saxons, se cache un moyens très ingénieux permettant de profiter du vent et de disperser les graines. Les chercheurs ont découvert au-dessus de ce pappus une bulle d’air stable en forme d’anneau qui provoque un tourbillon permanent. Ce vortex qui est produit par la circulation de l’air est le secret du pissenlit. C’est lui qui améliore considérablement la portée des graines dans les courants d’air, en les aspirant vers le haut et en leur permettant de se maintenir longtemps au-dessus du sol. Selon les auteurs de l’étude, la découverte de ce tourbillon fournissait même la preuve de l’existence d’une nouvelle classe de comportement des fluides.
Cette histoire de pissenlits nous rappelle que l’on se trompe lourdement en considérant les plantes comme des organismes figés à tout jamais dans le sol. Non, le règne végétal n’est pas immobile et il est même capable de migrer sur de très longues distances.
Et c’est cette histoire que nous allons vous raconter.
Comment les plantes voyagent et colonisent la planète ? Contrairement aux idées reçues, le règne végétal n’est pas immobile. Didier Allard, écologue et professeur à l’Université de Bordeaux, explique comment les plantes se déplacent sur des distances parfois considérables grâce à divers mécanismes de dispersion ingénieux, qui leur permet de coloniser de nouveaux territoires et de s’adapter aux changements environnementaux.
« Pour leur dispersion, les plantes ont inventé le parachute amélioré, mais aussi le ressort, le velcro et bien d’autres innovations » ! L’écologue Didier Allard revient sur le pissenlit, un modèle d’ingéniosité des plantes pour voyager. Mais « c’est une plante assez généraliste. Se déplacer avec le vent reste aléatoire. Comme la noix de coco qui flotte pendant des mois avant de tomber sur le bon endroit pour germer. Ensuite, c’est une question de probabilités. Ça marche d’autant mieux que vous poussez dans des milieux différents. Si vous êtes très spécialisés, le hasard peut faire beaucoup moins bien les choses. Finalement ce qu’on voit, ce ne sont que les histoires qui marchent bien. Mais il y a plein d’échecs. »
Les animaux et l’eau, alliés précieux pour la migration végétale
La dispersion des plantes s’appuie largement sur les animaux. « Plus de la moitié des plantes dépendent de la faune pour étendre leur territoire » raconte l’écologue. Certaines espèces s’accrochent aux poils des animaux grâce à des crochets, comme la bardane qui a inspiré l’invention du velcro. D’autres, comme le gui, produisent des baies appréciées par les grives qui dispersent ensuite les graines sur d’autres branches. « Les oiseaux sont tout aussi essentiels », affirme Didier Allard. « On est là dans le cas de l’endozoochorie, où les graines passent par le tube digestif. » L’eau joue également un rôle important : « Il y a plein de plantes qui pratiquent l’hydrochorie. La noix de coco en est un exemple, mais aussi pas certaines plantes aquatiques des bords des eaux. »
Une histoire évolutive marquée par l’invention de la graine
L’écologue retrace l’évolution des stratégies de dispersion végétale. « Les premiers végétaux sont sous-marins, les algues », explique-t-il. Sur terre, les mousses et les fougères se reproduisaient d’abord par spores. L’invention majeure fut celle de la graine, apparue avec les gymnospermes (conifères) à la fin du Carbonifère, puis perfectionnée par les angiospermes (plantes à fleurs) au milieu du Crétacé, il y a environ 120-140 millions d’années. « C’est une invention qui permet de protéger la graine, de faciliter la fécondation interne par la pollinisation et de développer le fruit qui est vraiment la base de la dissémination. La plante ne disperse plus des gamètes comme des petits spermatozoïdes dans la nature, mais fait de la fécondation interne. » précise Didier Allard. Cette innovation a permis une « explosion évolutive très importante ».
Face au réchauffement climatique, une migration accélérée
Le changement climatique pose aujourd’hui un défi considérable aux plantes. Des études ont montré qu’en montagne, les végétaux se sont déplacés en moyenne de 60 mètres plus haut en altitude au cours du siècle dernier, suivant l’augmentation des températures. « En plaine, c’est plus problématique », souligne Didier Allard. « Un degré de plus suppose non pas de faire 200 mètres, mais de faire peut-être 200 kilomètres. » Avec l’accélération du réchauffement, la question cruciale devient : « Est-ce que les plantes sont assez rapides pour répondre au changement climatique ? » Une interrogation qui reste ouverte, alors que les scientifiques continuent d’étudier ces déplacements végétaux silencieux mais constants.
Source : https://www.radiofrance.fr/