
Le poisson-pierre estuarien (Synanceia horrida) et le poisson-pierre de récif (Synanceia verrucosa) sont considérés comme les espèces de poissons les plus venimeuses au monde. Sa piqûre est non seulement extrêmement douloureuse, mais peut être mortelle. Les recherches sur les venins de ces deux espèces se sont principalement concentrées sur leur composition en protéines. Une équipe a poussé plus avant les analyses et a fait une étonnante découverte.
On estime qu’il existe plus de 220’000 espèces venimeuses sur la planète. Synanceia horrida et Synanceia verrucosa sont des espèces de poissons-pierre que l’on trouve dans les eaux chaudes de la région indo-pacifique, ainsi que dans le golfe Persique et la mer Rouge. Leur corps est doté de 13 épines dorsales, acérées et rigides, chacune reliée à deux glandes à venin. L’animal possède d’excellentes capacités de camouflage, ce qui représente un danger pour les humains. Si l’animal est dérangé ou se sent menacé, il dresse ses épines. Gare à celui qui posera le pied dessus !
Le venin provoque une douleur particulièrement intense, qui irradie dans tout le membre affecté. Un œdème et un érythème peuvent apparaître. Outre ces symptômes localisés, de graves complications systémiques peuvent apparaître (faiblesse musculaire, tachycardie, œdème pulmonaire, convulsions, insuffisance respiratoire et/ou cardiaque) et conduire au décès. Cependant, on ne comprend pas bien comment les venins de ces poissons peuvent provoquer ces symptômes.
Des mélanges de molécules aux effets toxiques
Chimiquement, les venins sont des mélanges complexes de sels, de petites molécules, de peptides et de protéines. Ces composés peuvent agir en synergie pour produire des effets toxiques. La caractérisation de ces molécules est indispensable pour mettre au point les antivenins adéquats.
Les composés de venin peuvent aussi servir d’outils pharmacologiques, thérapeutiques ou insecticides. Ils peuvent également aider à cibler des vecteurs de maladies humaines ou des organismes inducteurs de maladies. Ainsi, plusieurs médicaments commercialisés aujourd’hui sont dérivés de venins animaux, comme le Captopril (contre l’hypertension), le Byetta (un antidiabétique) ou le Prialt (un puissant analgésique).
Concernant le venin du poisson-pierre, plusieurs composés ont déjà été identifiés, notamment la verrucotoxine et la stonustoxine. Ces deux grandes protéines forment des pores dans les membranes cellulaires, ce qui entraîne la mort des cellules. En outre, la stonustoxine augmente la perméabilité des vaisseaux sanguins, permettant une distribution plus rapide du venin. Les scientifiques ont également identifié la cardioleputine. Cette protéine augmente le rythme cardiaque, ce qui accélère encore la distribution du venin.
On y a trouvé aussi plusieurs enzymes, telles que les hyaluronidases, l’acétylcholinestérase et la phosphodiestérase. À ce « cocktail » s’ajoutent quelques petites molécules : la dopamine, la norépinéphrine, le tryptophane et l’histamine. Toutefois, une récente analyse protéomique et transcriptomique des composants du venin de S. horrida a révélé la présence de nombreuses toxines encore non caractérisées.
Des chercheurs de l’Australian Institute of Tropical Health and Medicine et de la KU Leuven ont donc poursuivi les investigations. Ils ont utilisé la spectroscopie par résonance magnétique nucléaire (RMN), la chromatographie en phase liquide couplée à la spectrométrie de masse (LC-MS), ainsi que des techniques de fractionnement des venins. Ils rapportent avoir découvert des molécules jamais signalées auparavant dans les venins de poisson. Leurs résultats viennent de paraître dans la revue FEBS openbio.
Trois neurotransmetteurs jamais signalés auparavant
L’électrophorèse sur gel de polyacrylamide contenant du laurylsulfate de sodium (SDS-PAGE) a montré que le venin de poisson-pierre contient majoritairement des composants d’un poids moléculaire d’environ 75 kiloDaltons (kDa). Selon les chercheurs, cela correspond sans doute aux protéines verrucotoxine et stonustoxine caractérisées précédemment. Il y avait également plusieurs protéines avec des poids moléculaires compris entre 10 et 15 kDa.
L’équipe a observé quelques différences entre les deux espèces. Par exemple, des composés d’environ 250 kDa dans le venin de S. horrida étaient absents du venin de S. verrucosa.

Crédits : Saggiomo et al., FEBS Openbio (2024)
La LC-MS a indiqué que les venins contenaient également plusieurs petites molécules, de poids compris entre 103 et 564 Da. La RMN a confirmé cette observation. Les spectres ont révélé la présence d’acide gamma-aminobutyrique (GABA) dans les deux venins. De même, ils ont indiqué la présence de choline et d’O-acétylcholine, mais uniquement dans le venin de S. horrida. La RMN a également permis de confirmer la présence de norépinéphrine dans les deux venins. La dopamine n’apparaissait que chez S. horrida.

Crédits : Saggiomo et al., FEBS Openbio (2024)
Bien que l’on ait déjà trouvé ces molécules dans les venins d’autres espèces, comme les frelons et les araignées, c’est la première fois qu’un venin de poisson contient du GABA, soulignent les chercheurs.
« En fonction de leur concentration individuelle et de leur capacité à pénétrer les tissus environnants, ces petites molécules pourraient jouer un rôle important dans les effets cardiorespiratoires et neuromusculaires observés », notent-ils. La norépinéphrine joue un rôle important dans la régulation sympathique des systèmes respiratoire et cardiovasculaire, provoquant potentiellement une bradycardie. Le GABA est un puissant neurotransmetteur inhibiteur et est également capable de moduler la fonction cardiovasculaire, avec une gamme d’effets incluant une tachycardie transitoire, une hypotension et une gêne respiratoire.
Source : https://www.science-et-vie.com/