
Lorsqu’on évoque les migrations animales, les éléphants, les oiseaux ou les baleines viennent immédiatement à l’esprit. Mais les mouches ? Peu de gens soupçonnent qu’elles aussi entreprennent des voyages au long cours. Pourtant, selon une étude récente, près de 600 espèces de mouches pourraient migrer régulièrement sur de longues distances. Et ce chiffre ne représente probablement qu’une infime partie de la réalité.
Des mouches qui pollinisent, nettoient, régulent
L’ordre des Diptères, qui rassemble les mouches, moustiques, moucherons, syrphes, mouches à viande ou drosophiles, compte plus de 125 000 espèces décrites. Certaines estimations évoquent plus d’un million d’espèces réelles. Ces insectes ne sont pas que des gêneurs volants : 62 % des migrateurs identifiés sont des pollinisateurs, 35 % des décomposeurs, 10 % des prédateurs de ravageurs. Un même individu peut remplir plusieurs de ces fonctions, selon les étapes de sa vie.
Leur rôle dans les écosystèmes est tout simplement colossal. Les syrphes, par exemple, visitent plus de la moitié des cultures alimentaires majeures à l’échelle mondiale. Une contribution agricole estimée à environ 300 milliards de dollars par an. Et leurs larves ? Elles consomment des quantités astronomiques de pucerons, ennemis bien connus des plantes. Deux seules espèces de syrphes élimineraient jusqu’à 10 000 milliards de pucerons chaque année dans le sud de l’Angleterre.
Une migration discrète, mais réelle
Migrer, pour ces insectes, c’est voler longtemps, sans s’arrêter pour se nourrir ni se reproduire. L’étude définit cette migration comme un vol continu, rectiligne et sans distraction. Pour identifier les espèces migratrices, les chercheurs ont utilisé 13 critères précis, allant de l’observation directe au comportement reproductif, en passant par la physiologie.
Des mouches communes comme la mouche d’automne (Musca autumnalis) traversent les cols pyrénéens en masse à l’automne. D’autres, comme la mouche domestique (Musca domestica), ont des larves capables de transformer plus de 400 kg de lisier de porc en compost, à partir de seulement 50 individus.
Des migrations invisibles mais essentielles
Les migrations de mouches ne se voient pas comme celles des cigognes. Pourtant, elles relient des habitats éloignés, transportent du pollen, des gènes, des nutriments. Elles contribuent à la diversité génétique des plantes, soutiennent les chaînes alimentaires en nourrissant oiseaux et autres prédateurs, et nettoient les écosystèmes en décomposant les matières organiques.
Leur déclin aurait donc des répercussions bien au-delà de leur propre disparition. En Amérique du Nord, les oiseaux insectivores ont perdu près de 3 milliards d’individus en 50 ans, tandis que les espèces non insectivores progressent. Une tendance qui reflète une baisse massive de l’abondance d’insectes volants.
Des routes menacées par les activités humaines
Pour survivre et migrer, ces insectes ont besoin de continuité écologique. Or l’urbanisation, l’agriculture intensive et la disparition des zones humides créent des “trous” dans les corridors migratoires, rendant les trajets plus risqués, voire impossibles. Les insectes se retrouvent sans abri, sans nourriture, sans lieux de reproduction.
Préserver ces espèces ne peut donc se limiter à protéger quelques zones isolées. Il s’agit de maintenir des réseaux entiers d’habitats interconnectés à travers les paysages. Sans cela, des centaines d’espèces migratrices pourraient disparaître avant même d’avoir été étudiées ou nommées.
Des espèces opportunistes… et parfois dérangeantes
La migration n’est pas toujours synonyme de bonne nouvelle. Certaines espèces, comme le botfly du renne, suivent ces mammifères dans leurs déplacements pour déposer leurs larves dans leurs narines. D’autres, comme certains moustiques, étendent leur aire de répartition en réponse au réchauffement climatique. Le paludisme est ainsi récemment apparu dans les régions montagneuses du Népal, jusque-là épargnées.
Une vaste zone d’ombre scientifique
Sur les 130 familles connues de Diptères, 60 montrent des signes évidents de migration. Mais cela ne représente que 0,5 % des espèces décrites. L’étude suggère que ce chiffre est largement sous-estimé, faute d’observations et d’intérêt historique pour ces insectes jugés peu attractifs.
Les chercheurs appellent donc à une accélération des travaux sur la migration des insectes, avec un effort particulier sur les espèces de diptères. Cela implique des outils de suivi miniaturisés, des modèles climatiques, des relevés massifs sur le terrain, et une coordination internationale.
La biodiversité ne se joue pas seulement dans les forêts tropicales ou les fonds marins. Elle vole aussi, silencieuse et discrète, au-dessus de nos têtes.
Source : https://media24.fr/