
La biodiversité concerne l’ensemble des êtres vivants, leurs interactions entre eux et avec leur milieu. Tous les niveaux d’organisation du vivant sont concernés : du gène à l’individu, puis à l’espèce et ses populations constitutives jusqu’aux associations d’espèces différentes au sein des écosystèmes. L’arbre du vivant illustre la biodiversité des espèces et rend compte des degrés de parenté entre elles et permet de comprendre leur histoire évolutive. Schématiquement, un écosystème est donc caractérisé par des interactions, des flux de matière et d’énergie entre chacun des constituants de l’écosystème et un équilibre dynamique au cours du temps, entre pérennité et évolution, résilience et résistance face aux perturbations qui l’affectent.
« L’essentiel est invisible pour les yeux, répéta le petit prince, afin de se souvenir. »
Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry
1. Définition
Le concept de biodiversité est récent. En 1984, Edward O. Wilson publie « Biological diversity » qui met en avant pour la première fois l’idée de diversité biologique. Mais ce concept nouveau n’a vraiment pris son essor qu’avec la signature de la Convention sur la diversité biologique lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992. Dans son Article 2, cette convention définit la biodiversité comme étant la « variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces, et entre les espèces et ainsi que celle des écosystèmes ». L’écologue Robert Barbault résume ainsi cette définition : c’est « la vie, dans ce qu’elle a de divers ».
La biodiversité concerne donc l’ensemble des êtres vivants, les interactions qu’ils ont entre eux et avec le milieu où ils vivent. Tous les niveaux d’organisation du vivant sont concernés : cela va du gène à l’individu, puis à l’espèce en interaction étroite avec les milieux où ils se trouvent et avec les espèces qui l’entourent, et en particulier les écosystèmes. La biodiversité doit aussi être considérée à l’échelle de l’histoire de la planète : la vie est apparue sur Terre il y a environ 3,8 milliards d’années et l’état actuel de la biodiversité est donc le résultat d’un très long processus évolutif.
Mais ce concept de biodiversité est aussi une construction sociale, économique, juridique et politique dont les enjeux relèvent des interactions des sociétés humaines avec l’ensemble de la biosphère : accès aux ressources, usages qui en sont faits, bénéfices qu’on en tire, partage, gestion, durabilité, etc. La biodiversité est enfin un enjeu éthique car elle soulève la question du droit à la vie des espèces qui peut être considéré comme imprescriptible, ce que défendent plusieurs courants philosophiques très actifs comme l’éthique de l’environnement. La biodiversité relève donc aussi des Sciences de l’Homme et de la Société, comme cela est décrit dans l’article La biodiversité n’est pas un luxe, mais une nécessité, de Jacques Blondel.
2. Diversité des espèces
Ce niveau de compréhension de la biodiversité est, a priori, le plus intuitif. Il distingue les espèces entre elles. Nous faisons naturellement la différence entre les divers animaux ou les plantes qui nous entourent : nous savons ce qu’est un lis, une araignée, un manchot ou un léopard (Figure 1). Mais la définition même d’espèce n’est pas si simple. Pour le zoologiste et systématicien Guillaume Lecointre : « dans la nature, il n’y a pas d’espèces. Il n’apparaît que des barrières de reproduction. Les espèces, c’est nous qui les créons à partir d’un modèle théorique » [1]. Pour schématiser, on peut dire qu’une espèce est un ensemble d’êtres vivants ayant un aspect semblable, féconds entre eux et engendrant, dans des conditions naturelles, une descendance viable et féconde. Mais cette définition ne s’applique pas vraiment aux microorganismes, comme les bactéries : invisibles à l’œil nu, elles sont très difficile à distinguer à partir de critères simplement morphologiques.

Combien y-a-t-il d’espèces vivantes sur Terre ? A l’heure actuelle, environ 1,7 à 2 millions d’espèces ont été décrites sur un nombre total estimé entre 3 et 100 millions d’espèces. Naturellement, les espèces les mieux décrites sont celles qui sont directement à notre portée : les plantes terrestres -plus de 200 000 sur un total estimé de 300 000- et les vertébrés, en particulier les oiseaux. Alors que près de 99% des 10 000 espèces estimées d’oiseaux ont déjà été décrits, chaque année de nouvelles espèces d’oiseaux sont caractérisées ! Par contre, seulement 1% du nombre de microorganismes auraient été décrits : virus, archées, bactéries, etc. Ces organismes font donc l’objet d’intenses programmes de recherches. Ainsi, entre 2009 et 2012, l’expédition Tara Océans a navigué à travers la planète avec pour objectif de faire l’inventaire des espèces du plancton des océans [2]. Les chercheurs ont déjà collecté des virus, microbes et eucaryotes microscopiques (des algues unicellulaires aux larves de poissons) dans toutes les grandes régions océaniques. Ils ont ainsi rassemblé le matériel génétique de plus de 35 000 bactéries planctoniques différentes, matériel pour la plupart inconnu jusqu’à présent.
Les espèces ne sont pas réparties uniformément sur la surface du globe. Il suffit pour s’en convaincre de comparer la densité d’organismes vivants dans les forêts des zones montagneuses du Vietnam ou les récifs coralliens de Nouvelle-Calédonie avec celle des régions désertiques ou polaires. Quelques dizaines de « points chauds » ont été identifiées et délimitées à la surface de la Terre (Figure 2).

La description des espèces, existantes ou disparues, est indispensable pour en faire l’inventaire et les ordonner entre elles. Au départ, chaque espèce était connue sous divers noms usuels, selon les régions et les langues locales. La nomenclature binominale proposée par le suédois Carl von Linné [3] permettait de nommer précisément une espèce donnée. Lorsqu’elle s’est imposée au 18e siècle, les espèces étaient considérées comme des entités fixes définies par des critères morphologiques. Ainsi, Linné va classifier les plantes en fonction de la structure de la fleur et plus précisément du nombre, de la disposition et de la proportion des organes de reproduction : l’étamine et le pistil. Le 19e siècle va sonner le glas de l’idée d’espèces fixes et éternelles. C’est tout d’abord la prise de conscience, due à George Cuvier [4], que des animaux ont existé et n’existent plus : la grande diversité des fossiles à l’origine inexpliquée sont alors décrits comme des espèces disparues, et cela va des coquillages aux dinosaures.
Tous ces travaux sont à l’origine de la classification classique des organismes vivants fondée sur des caractères observables et reposant sur une hiérarchie de catégories (les taxons) définie de la façon suivante : (vivant) → règne → embranchement → classe → ordre → famille → genre → espèce.
Cette hiérarchie a été totalement remise en cause par la notion d’évolution des espèces due à la sélection naturelle développée par Darwin (lire La théorie de l’évolution : Incompréhensions et résistances ; Lamarck et Darwin : deux visions divergentes du monde vivant ; Héritage ou convergence ? Les chemins sinueux de l’évolution des espèces & focus Darwin), c’est-à-dire la filiation des espèces et leur descendance à partir d’un ancêtre commun. L’expression « sélection naturelle » a été imaginée par Darwin par analogie avec la sélection artificielle pratiquée par les agriculteurs ou éleveurs qui choisissent à chaque génération les individus présentant les « meilleures » caractéristiques pour les faire se reproduire. Cette notion révolutionnaire va permettre de rendre compte d’une évidence reconnue par tous : au sein d’une même espèce, certains se ressemblent plus que d’autres, mais tous sont différents. Je ressemble à mes parents, mes frères ou mes sœurs, mais je suis différent d’eux.
Depuis la seconde moitié du 20e siècle, la classification phylogénétique (voir ci-dessous) s’est ainsi développée. Elle vise à rendre compte des degrés de parenté entre les espèces et qui permet donc de comprendre leur histoire évolutive, ou phylogénie.
3. Diversité intraspécifique, diversité génétique et évolution des espèces

Lorsqu’on observe un groupe d’organismes vivants, on voit que tous possèdent des caractères spécifiques propres à l’espèce à laquelle ils appartiennent, mais que tous les individus d’une même espèce sont différents les uns des autres. Ils ont des caractères propres à chaque individu (le phénotype), qu’ils soient morphologiques (taille, couleur des yeux ou forme des poils), anatomique (caractères sexuels), physiologiques, voire pathologiques (maladies génétiques, par exemple). La figure 3 illustre le fait qu’au sein d’une même espèce d’Orchis pourpre, chaque individu diffère des autres par de nombreux détails morphologiques, comme la forme et la distribution des taches pourpres sur le labelle de la fleur.
Selon Darwin, chaque nouvelle génération d’une espèce donnée est constituée d’individus qui ont, malgré leur ressemblance, des aptitudes différentes pour survivre dans leur milieu. Chaque individu présente ainsi une combinaison unique de caractères (physiques, génétiques, d’aptitude à s’adapter au milieu…) de l’espèce à laquelle il appartient. Face aux contraintes et aux changements de leur environnement (climat, prédation, parasites, ressources…), certains auront du mal à survivre et à se reproduire et finiront par disparaître. D’autres s’adapteront plus facilement et survivront. Ils transmettront alors leurs caractères avantageux à leur descendance.
L’ensemble des individus d’une même espèce, génétiquement différents, vivant dans une aire géographique relativement restreinte représente une population. Lorsque une population d’une espèce donnée se retrouve géographiquement isolée, les individus vont se développer plus ou moins rapidement si les conditions de vie sont satisfaisantes. Génération après génération, ils vont développer des caractères ou aptitudes différents de ceux des populations d’origine. On parle de diversité au sein d’une même espèce ou intraspécifique. L’étape ultime de cette divergence est lorsque les individus de cette population sont devenus incapables de se reproduire avec les individus de l’espèce d’origine. Une nouvelle espèce est née (Figure 4). Un exemple classique est celui des pinsons de Darwin (Lire aussi Les aléas de l’évolution : le rôle des faibles effectifs). L’importance de la géographie dans la spéciation, déjà imaginée par Alfred R. Wallace [7] au 19e siècle, sera utilisée par Alfred Wegener [8] lorsqu’il émet, en 1915, l’hypothèse de la dérive des continents (ancêtre de la Tectonique des plaques actuelle [9]). Ayant constaté que les espèces fossiles animales et végétales étaient très semblables sur les continents américain et africain jusqu’au début de l’ère secondaire (-200 millions d’années), époque à partir de laquelle les fossiles divergent sur chacun des continents, Wegener imagine alors que ces derniers ont été formés à partir de l’éclatement d’un super-continent, la Pangée. Un exemple classique est celui des oiseaux du groupe des Ratites : Autruche d’Afrique, Nandous d’Amérique-du-Sud, Émeus d’Australie, Kiwis de Nouvelle-Zélande qui se sont différenciés à partir d’un ancêtre, sorte de « paléo-autruche », répandu sur la Pangée.

C’est l’ensemble de ces processus (biologiques, géologiques…) qui fait qu’au cours des 3,8 milliards d’années qui ont permis à la vie de se développer, les espèces vivantes ont pu se diversifier. On est passé successivement d’un monde exclusivement constitué d’organismes sans noyau (Archées et Bactéries) aux organismes monocellulaires puis pluricellulaires avec un noyau individualisé (les Eucaryotes), devenant ainsi de plus en plus diversifiés. La formation et l’extinction naturelle des espèces sont des processus lents. On estime en effet que la durée de vie moyenne d’une espèce est de 2 à 10 millions d’années. Mais quels sont les mécanismes responsables de l’évolution ?
Alors que Darwin développe sa théorie, Mendel [11] découvre comment les caractères d’un organisme vivant se transmettent de génération en génération. Cette découverte, passée inaperçue à l’époque, est à l’origine du développement de la génétique qui allait permettre de comprendre les mécanismes à l’origine de l’évolution des espèces. L’intégration de la génétique à la théorie de Darwin s’est progressivement faite dans la première moitié du 20e siècle. Il faudra cependant attendre la découverte, en 1953, de la structure de l’ADN (acide désoxyribonucléique) par Watson et Crick [12] et la caractérisation de son fonctionnement pour reconnaître le rôle de l’ADN comme support de l’hérédité et marqueur de la descendance d’un organisme vivant. Les propriétés du génome des êtres vivants vont être disséquées, de même que les mécanismes conduisant aux mutations et recombinaisons affectant les individus et indispensables pour l’adaptation des populations aux modifications du milieu, c’est-à-dire pour l’évolution. La diversité intraspécifique est en fait une diversité génétique. Les variations induites par les mutations génétiques sont responsables du polymorphisme des individus. Ces mutations peuvent être « neutres », « faiblement délétères » ou « favorables » du point de vue de la sélection naturelle. Elles sont, ou non, conservées dans le patrimoine génétique de l’espèce ou d’une sous-population par différentes adaptations. Chaque espèce présente donc une combinaison unique de gènes, mais chaque individu d’une même espèce va présenter des caractéristiques qui permettent de le distinguer des autres individus de cette espèce.
Un niveau de régulation encore plus fin permet de comprendre, par exemple, les différences existant chez des vrais jumeaux. C’est la régulation épigénétique qui concerne toutes les modifications, matérialisées par des modifications biochimiques (un groupement méthyle CH3, par exemple) de l’ADN et qui ne sont pas codées par la séquence d’ADN. Elles permettent une lecture différente d’un même code génétique et s’expriment lors du développement de l’organisme. Si certaines marques épigénétiques sont transitoires, d’autres ont une remarquable pérennité et pourraient même passer à la descendance, mais généralement de manière transitoire. Cependant, ne reposant pas sur des changements de la séquence d’ADN, ils ne modifient pas la structure génétique de la lignée concernée et un processus de spéciation est donc exclu.
4. L’arbre du vivant

Le développement des méthodes d’analyse phylogénétique vers le milieu du 20e siècle va permettre de prendre en compte à valeur égale tous les caractères des espèces vivantes. Les caractères anatomiques et embryologiques, moléculaires et physiologiques mais aussi les données apportées par la paléontologie vont être utilisés pour réaliser la classification phylogénétique des êtres vivants qui repose désormais sur la notion de taxon [13]. Le développement de la phylogénie répond à la question « Qui est plus proche de qui ? » parmi un ensemble d’espèces et se représente généralement sous la forme d’un arbre. Il s’agit alors de construire l’arbre évolutif en combinant l’ensemble des données moléculaires, mais aussi morphologiques, anatomiques ou écologiques pour chaque groupe d’êtres vivants, ou clade, qui comprend alors tous les descendants d’un ancêtre et l’ancêtre lui-même [14]. L’arbre du vivant (qui peut être décliné de manière approfondie branche par branche, puis nœud par nœud et feuille par feuille, représente cette vision moderne de la classification des êtres vivants (Figure 5). Cette représentation a désormais remplacé la classification classique héritée de Linné, qui illustrait la vision créationniste et fixiste de l’organisation du monde [15].

Si l’analyse phylogénétique des organismes vivants prend en compte de très nombreux caractères [16], c’est grâce à certains d’entre eux, comme les séquences des génomes ou des protéines, que la description de la biodiversité a été portée à un niveau encore inimaginable il y a quelques années. Il est désormais possible de comparer des êtres vivants alors que leur seule morphologie ne le permet pas. Des programmes ont été développés à partir de méthodes d’analyses des séquences d’ADN et d’ARN ribosomiques à haut débit. Ils ont pour objectif de fournir des outils de diagnostic universel de la biodiversité (lire Codes-barres ADN pour caractériser la biodiversité). Ainsi, l’analyse des données moléculaires a permis de montrer qu’un certain nombre d’organismes n’étaient pas ce que l’on croyait : les champignons sont très éloignés du monde végétal et sont en réalité plus proche des animaux… En comparant les séquences des ARN ribosomiques, Carl Woese a découvert en 1977 [17] l’existence des Archées, troisième grand « règne » du vivant à côté des Bactéries et des Eucaryotes (Figures 5 & 6). C’est toujours grâce à ces outils moléculaires que l’on commence à prendre conscience de la réelle diversité du vivant. Il faut garder en tête que la très large majorité des êtres vivants reste inconnue et que pour de très nombreux d’entre eux (archées, bactéries, organismes du plancton), seuls des fragments de séquences permettent de révéler leur existence.
5. Les écosystèmes
Classiquement, un écosystème se définit comme l’ensemble formé par une association d’êtres vivants (ou biocénose) et son biotope, c’est-à-dire l’environnement biologique, géologique, édaphique (le sol), hydrologique, climatique, etc. Il existe donc une infinité d’écosystèmes différents : une tourbière, une forêt, un « fumeur noir » au fond des océans ; mais la panse d’un ruminant, un camembert ou un organisme en décomposition constituent aussi des écosystèmes. Schématiquement, un écosystème est donc caractérisé par des interactions (entre espèces vivantes et avec le milieu environnant), des flux de matière et d’énergie entre chacun des constituants de l’écosystème permettant leur vie et un équilibre dynamique au cours du temps, entre pérennité et évolution.
5.1. Interactions entre espèces dans les écosystèmes
Les réseaux d’interactions et d’interdépendances qui existent entre les organismes d’un même écosystème constituent l’essence même du concept de biodiversité. Ces interactions sont souvent à bénéfices réciproques et leur rôle dans la physiologie et l’adaptation des organismes est essentiel. Par exemple, bien des animaux ne digèrent pas sans les bactéries et archées de leur tube digestif, la plupart des plantes ne peuvent exploiter le sol qu’à l’aide de champignons colonisant leurs racines, qu’elles nourrissent en retour. Cette association champignon/racine porte le nom de symbiose mycorhizienne.
Mais il n’en est pas toujours ainsi : les interactions entre deux organismes peuvent être classées en fonction de leur caractère bénéfique, néfaste ou neutre pour l’un et l’autre des partenaires. Ainsi, peuvent être distinguées des interactions bénéfiques pour l’un des partenaires et néfastes pour l’autre (prédation, parasitisme), des interactions bénéfiques pour l’un et neutres pour l’autre (commensalisme) et des interactions à bénéfices réciproques (mutualisme), même si en réalité toutes les situations intermédiaires peuvent exister, en un véritable continuum de types d’interactions. Elles peuvent également être classées en fonction de leur caractère instantané (prédation) ou durable (parasitisme, mutualisme, etc.), ainsi que d’après le degré d’association entre les partenaires. Étymologiquement, le terme de symbiose désigne « la vie en commun d’organismes d’espèces distinctes ». Cette définition désigne une coexistence durable et obligatoire, impliquant tout ou partie du cycle de vie des deux organismes, quels que soient les échanges entre ceux-ci. Une définition plus restrictive réserve le terme de symbiose aux coexistences durables et mutualistes (lire Symbiose et parasitisme).
Ainsi, dans un écosystème, des milliers d’espèces se côtoient et des interactions extrêmement complexes sont à la base de son fonctionnement général qui se caractérise par une dynamique de sa biodiversité fonctionnelle qui rend compte des conséquences de toutes ces interactions, comme la production de services écosystémiques.
5.2. Transferts de matière et d’énergie au sein des écosystèmes

Les divers constituants d’un écosystème échangent matière et énergie, ce qui permet le maintien et le développement de la vie. C’est le cas de l’exemple du réseau trophique existant dans l’écosystème d’un étang présenté à la figure 7.
La matière y suit la loi de la conservation de la masse énoncée par Lavoisier « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Ainsi, dans l’exemple présenté Figure 7, la limnée, sorte d’escargot aquatique herbivore, broute une grande variété de végétaux aquatiques et d’algues, tous des producteurs primaires, qui peuplent l’étang. En se nourrissant, la limnée va récupérer la matière contenue dans ces aliments. La limnée est donc un consommateur primaire, elle se nourrit presque exclusivement d’organismes autotrophes. La carpe qui se nourrit de nombreux débris et petits animaux, et en particulier de limnées, est un consommateur secondaire. C’est aussi le cas d’un carnivore redoutable, le brochet, qui se nourrit en effet de proies diverses : divers espèces de poissons, amphibiens, lézards, canetons, rongeurs…, récupérant à son tour la matière qui les constitue. Autour de l’étang, en particulier sur les berges, des rapaces -comme la buse- trouvent aisément leur nourriture : des grenouilles, par exemple.

À chaque niveau trophique de la chaîne alimentaire, il y a toujours une « perte » de matière et d’énergie sous forme de déchets (par exemple, le dioxyde de carbone, les matières fécales), de chaleur et d’énergie cinétique (par exemple, l’énergie utilisée pour se déplacer). Jusqu’à 90 % de la matière et de l’énergie peuvent être « perdus » à chaque niveau.
Cycle de la matière. À chaque maillon de cette chaîne alimentaire, des déchets de matière organique s’accumulent dans le milieu. Tous les animaux produisent des excréments à partir de la matière qu’ils ingèrent. De même les restes végétaux, comme les feuilles des arbres avoisinants, deviendront des débris tombant au fond de l’étang ou sur le sol des berges. Excréments et débris organiques vont alors être transformés en éléments minéraux par les organismes vivants dans le sol (les décomposeurs), vers de terre en particulier. C’est la minéralisation, ou recyclage chimique, processus naturel de transformation de la matière organique en matière inorganique par les décomposeurs. Ces derniers vont donc rendre disponibles les nutriments essentiels présents dans la matière organique afin que les producteurs puissent les utiliser à nouveau permettant au cycle de recommencer. Le recyclage chimique joue un rôle essentiel dans les modifications des conditions physico-chimiques régnant à la surface de notre planète. Il est étroitement lié aux cycles biogéochimiques comme celui de l’eau, du carbone, de l’oxygène, de l’azote, du soufre ou du phosphore, mais aussi ceux des divers métaux impliqués dans les mécanismes enzymatiques du vivant (fer, molybdène, manganèse…). A quelques variantes près, les mêmes types de cycles existent dans les autres écosystèmes, terrestres ou marins. Ainsi, dans un écosystème la matière passe continuellement d’un état à un autre (Figure 8).
Circulation de l’énergie. De la même manière, l’énergie circule aussi dans un écosystème. Dans les prairies, les forêts ou les étangs, la lumière du soleil est la toute première source d’énergie. Ce sont les organismes autotrophes [21] qui transforment l’énergie lumineuse du Soleil en énergie chimique par le biais de la photosynthèse. Cette énergie est utilisée par la plante pour produire de la matière organique à partir de l’eau, des éléments minéraux du milieu et du CO2 de l’atmosphère. En mangeant cette matière organique, les consommateurs, organismes hétérotrophes comme la limnée, la grenouille, le brochet ou la buse, peuvent alors récupérer l’énergie produite par les végétaux. Une grande partie de cette énergie sera perdue : une partie en déchets, une autre en chaleur (par exemple, la température corporelle constante des mammifères), mais le reste de l’énergie sera utilisée et permettra leur croissance, le déplacement des animaux, leur développement et leur reproduction. Le transfert d’énergie se poursuit ainsi au sein de l’ensemble du réseau trophique.
Il y a toujours une perte d’énergie d’un niveau trophique à un autre. L’énergie d’un écosystème n’étant pas recyclée, son fonctionnement nécessite qu’il soit continuellement approvisionné en énergie par une source externe, comme la lumière pour la photosynthèse. Dans d’autres écosystèmes comme les sources hydrothermales des fonds océaniques, l’autotrophie est assurée par un processus où l’énergie n’est pas apportée par la lumière, mais par des molécules chimiques : c’est la chimiosynthèse.
5.3. Dynamique des écosystèmes
Les écosystèmes sont des entités dynamiques contrôlées à la fois par des facteurs externes et internes. Les facteurs externes, tels que le climat et la nature du sol, contrôlent la structure globale et le fonctionnement des écosystèmes. Ainsi chaque écosystème présente des conditions de milieu particulières (température, humidité, pH, minéraux du sol…) qui permettent à des populations végétales, animales ou microbiennes de vivre, d’interagir et se développer grâce aux transferts de matière et d’énergie. Réciproquement, les espèces présentes modèlent l’écosystème qui de ce fait évolue dans le temps. Ces relations assurent à chaque population d’individus présents les conditions et les ressources nécessaires à sa survie. C’est ainsi que le sol est essentiel au sein d’un écosystème terrestre. Non seulement il est le substrat sur lequel sont fixés les producteurs primaires, mais il fournit une diversité d’habitats (les terriers par exemple) aux nombreux animaux, et il intervient aussi comme accumulateur, transformateur et milieu de transfert pour l’eau et les autres produits apportés, en particulier minéraux.
Alors que les apports de ressources sont généralement contrôlés par les processus externes, la disponibilité de ces ressources au sein de l’écosystème est contrôlée par des facteurs internes tels que la décomposition de la matière organique, la distribution des espèces vivantes, la compétition entre systèmes racinaires, etc. D’une année sur l’autre, les environnements biotiques et abiotiques des écosystèmes peuvent varier. Une forte sécheresse, un hiver particulièrement froid (ou doux), ou une épidémie de ravageurs font que les populations animales vont varier fortement d’année en année. Elles augmentent lors des périodes d’abondance, mais s’effondrent lorsque l’approvisionnement en nourriture devient difficile. Ainsi, la pollution, la sécheresse, les changements de température, mais aussi le développement d’une maladie, peuvent affecter l’écosystème, et c’est la diversité au sein des diverses populations peuplant l’écosystème qui permettra, ou pas, aux organismes de survivre à ces perturbations.

En écologie, deux paramètres sont utilisés pour mesurer les changements dans les écosystèmes : la résistance et la résilience. La résistance est la capacité d’un écosystème à rester à l’équilibre malgré des perturbations. La résilience est la vitesse à laquelle un écosystème récupère son équilibre après avoir été perturbé. Entre résistance et résilience, un écosystème n’est donc pas figé, il se transforme, il tend donc à évoluer jusqu’à un état métastable (qui est en équilibre dynamique) où tous les organismes sont en équilibre avec leur environnement et les uns avec les autres. Cet état est appelé climax. A l’équilibre, les petites modifications du système vont être compensées par rétroaction négative, permettant au système de revenir à son état d’origine.
Un exemple spectaculaire est celui des successions végétales dans une forêt que l’on ouvre par une éclaircie ou ayant subi des destructions à la suite de violentes tempêtes ou d’incendies (Figure 9). Le cycle part d’un stade dit pionnier et tend à aboutir à un stade d’équilibre, le climax, jusqu’à ce qu’une perturbation (incendie, chablis, inondation, glissement de terrain, avalanche…) réintroduise les conditions du premier stade. Dans l’exemple décrit dans la figure 9, la forêt est détruite brutalement par le feu jusqu’au niveau du sol. Des graines, présentes dans le sol ou apportées par le vent, l’eau ou les animaux, vont germer. Les premières graminées et autres plantes herbacées qui repoussent sont dites pionnières, de petits buissons et jeunes arbres commencent alors à recoloniser la zone. Dans cette nouvelle étape, les conifères poussent rapidement et des feuillus poussent plus lentement dans leur ombre. Les grands arbres à feuilles persistantes ou caduques « densifient » la canopée alors que les espèces intolérantes à l’ombre disparaissent au fur et à mesure que la forêt se développe. En fin de cycle, l’écosystème revient à un état semblable à celui où il a commencé, jusqu’à la prochaine perturbation. Ainsi, au fur et à mesure de cette succession d’évènements plus ou moins catastrophiques, les communautés végétales ainsi que les communautés microbiennes, fongiques et animales qui leur sont associées, évoluent en se remplaçant les unes les autres.
De fait, les écosystèmes ont considérablement varié au cours des millions d’années d’évolution et d’adaptation : une tourbière à l’époque du Carbonifère n’a probablement rien à voir avec une tourbière de moyenne montagne dans le Jura ; mais les principes qui ont gouverné leur fonctionnement respectif sont très probablement identiques.
De nos jours, un élément supplémentaire est à prendre en compte avec l’intervention d’une seule espèce vivante, Homo sapiens. En effet les menaces que nous exerçons sur la biodiversité sont particulièrement nombreuses. Une première catégorie de menaces concerne la fragmentation, la destruction ou la modification des écosystèmes par l’intensification des activités agricoles, la surpêche, les pollutions diverses. L’artificialisation des territoires, avec les constructions diverses, les routes, les parkings, les immeubles, etc., pèse aussi lourdement sur les écosystèmes. Enfin, c’est aussi le cas du développement des transports et des échanges commerciaux qui favorisent en particulier le développement d’espèces envahissantes, comme le frelon asiatique (lien vers article « Espèces envahissantes »). Les écosystèmes peuvent alors tout à fait perdre leur capacité de résistance. D’une manière plus globale, les activités humaines modifient, voire perturbent significativement, notre environnement ; cela va des paysages aux cycles biogéochimiques naturels.
Remerciements à Catherine Lenne, Chercheuse à l’UMR PIAF (INRA et Université Blaise Pascal) à Clermont-Ferrand et qui sait tout sur le quotidien des plantes (et bien plus), pour son regard critique et ses conseils lors de la rédaction de ce texte.
Références et notes
Photo de couverture : Jacana à poitrine dorée marchant sur des feuilles de nénuphars, lac Baringo, Kenya [photo © Jacques Joyard]
[1] Lecointre G (2011) Les espèces, c’est nous qui les faisons ! Espèces 1, 68-72
[2] http://oceans.taraexpeditions.org/m/science/
[3] Carl von Linné, 1707-1778 ; http://classes.bnf.fr/dossitsm/b-linne.htm
[4] Georges Cuvier, 1769-1832 ; http://classes.bnf.fr/dossitsm/b-cuvier.htm
[5] http://www.florenum.fr/
[6] http://www.desfleursanotreporte.com/
[7] Alfred R. Wallace , 1823-1913 ; http://people.wku.edu/charles.smith/wallace/BIOG.htm
[8] Alfred Wegener (1880 – 1930) ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Alfred_Wegener
[9] http://planet-terre.ens-lyon.fr/article/derive-continents-wegener.xml
[10] Lecointre G. (2009) Guide critique de l’évolution », Belin
[11] Johann Gregor Mendel (1822-1884) ; Biographie sur le site : http://uel.unisciel.fr/biologie/analgen/analgen_ch01/co/apprendre_ch1_01_01.html
[12] James Watson (né en 1926) & Francis Crick (1916-2004) ; Biographies (ainsi que celles de Rosalind Franklin, 1920-1958, & Maurice Wilkins, 1916-2004) sur le site : http://www.medecine.unige.ch/enseignement/dnaftb/19/concept/index.html
[13] Le Guyader H & Lecointre G (2013) La classification phylogénétique du vivant. Belin Paris, 608 p., ISBN 2701134560 ; http://www7.inra.fr/dpenv/leguyc46.htm
[14] A noter que cet ancêtre reste hypothétique ; il ne peut être identifié que par quelques caractères qu’il possède et transmet à ses descendants (les caractères partagés observés sur les descendants), comme des pièces de puzzle, mais on n’en a pas la « photographie » complète.
[15] http://planet-vie.ens.fr/content/classification-vivant-mode-emploi
[16] A noter que les caractères pris en compte sont si nombreux et si hétérogènes qu’il faut toujours choisir, et selon ceux qu’on retient ou qu’on élimine, on aboutit à des cladogrammes, ou arbres, différents. Dans ce cas, on donne la préférence à l’arbre comportant le moins de nœuds (c’est-à-dire le plus parcimonieux).
[17] Woese CR & Fox GE (1977) Phylogenetic structure of the prokaryoticdomain: The primarykingdoms, Proc. Natl. Acad. Sci. USA 74, 5088-5090.
[18] Hug LA et al. (2016) A new view of the tree of life, Nature Microbiology 1, #16048 ; doi:10.1038/nmicrobiol.2016.48
[19] http://www.fondation-lamap.org/fr/page/10998/la-classification-des-tres-vivants-principes-g-n-raux
[20] http://www.academie-en-ligne.fr/Ressources/7/SN12/AL7SN12TEPA0013-Sequence-07.pdf
[21] Autotrophie : Capacité pour un organisme à produire de la matière organique à partir de la réduction de matière inorganique et d’une source d’énergie externe : lumière (photoautotrophie, c’est le cas de la photosynthèse) ou composés chimiques (chimioautotrophie).
Source : https://www.encyclopedie-environnement.org/