
Après deux années catastrophiques marquées par la sécheresse, l’Espagne donne de l’air au marché mondial de l’huile d’olive avec une production qui pourrait être plus que doublée. D’autres acteurs sont à l’affut, comme la Turquie qui a enregistré une production exceptionnelle lors de la dernière campagne. Un ensemble de signaux qui laissent augurer d’une baisse importante des cours.
L’huile des huiles est de retour. La production mondiale d’huile d’olive devrait croitre de plus de 30% cette année pour s’établir autour de 3,35 millions de tonnes (Mt) d’après le Conseil oléicole international (COI). Un soulagement après deux exercices pour le moins chahutés, notamment du fait de la défaillance de l’Espagne, victime d’une sécheresse remarquable, alors que le pays d’adoption des rois Bourbons réalise la moitié de la production mondiale.
Le retour de l’Espagne soulage la production mondiale
Olive Oil Times table sur une production locale d’environ 1,5 Mt pour l’exercice 2024/2025, un niveau record, tandis que la récolte, qui a débuté au mois d’octobre, se prolonge jusqu’en février. Lors de la campagne 2022/2023, l’Espagne avait touché le fond avec une production de 0,67 Mt.
«En Espagne, il existe de nombreuses plantations d’oliviers centenaires en terres pluviales, donc sans accès à l’irrigation, détaille Julio Urruela, administrateur au Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes (Ciheam). Ces arbres sont soumis au phénomène cyclique dit de «vecería», soit la succession de belles années de production aux mauvaises – et réciproquement.» Si les cultures sont très résilientes, le changement climatique et l’intensité de la sécheresse ont mis à rude épreuve les arbres, alors que ces oliveraies sont implantées dans des régions où, historiquement, l’accès à l’eau est plus restreint. Le pays investit pour augmenter la résilience des productions.

Les productions intensives et irriguées se développent
De nouveaux systèmes se développent. «Il y a des investissements dans des plantations intensives et mécanisées, avec un accès à l’irrigation», poursuit Ramzi Belkhodja, coordinateur pour la production et la santé des plantes au Ciheam de Zaragoza. Ces oliveraies intensives, si elles sont encore minoritaires en Espagne, assurent une réserve de production en cas de déficit de pluie dans les bassins historiques. Des projets d’irrigation de précision voient le jour. En tout état de cause, les coûts de production dans ces systèmes intensifs contenus seraient (en moyenne) de 1000 euros la tonne, contre 4500 dans les oliveraies traditionnelles, d’après le site spécialisé Plataforma Tierra.
Ces développements ne se font pas qu’en Espagne. La Turquie, si elle est un producteur historique en raison d’une forte demande intérieure, a pris une place importante sur les marchés lors de la dernière campagne. La patrie des janissaires, dont la production avoisinait les 0,2 Mt ces dernières années, a presque doublé cette dernière, chipant la place de deuxième au classement des producteurs à la Grèce et l’Italie, les contenders habituels pour la deuxième marche du podium.
La Turquie veut sa part du gâteau
Les autorités locales annoncent même tabler sur une nouvelle augmentation de la production pour la campagne à venir à 0,48 Mt, comme le rapporte l’édition locale de Bloomberg. Les experts du Ciheam se montrent pour le moins sceptiques quant à cette augmentation de production, notant que le COI table sur un retour à la normale avec une production de 0,21 Mt. Dans son dernier rapport sur l’huile d’olive paru fin octobre, FranceAgriMer souligne toutefois que le pays s’est doté «d’un plan d’expansion du verger oléicole» et a investi dans des «matériels innovants». Le pays mécanise son verger, augmente la densité en arbres et développe l’irrigation.
L’Etat turc poursuit un plan précis. «Historiquement, la Turquie exporte environ la moitié de son huile en vrac, principalement à destination d’industriels en Espagne notamment, détaille un expert du marché local. L’État a multiplié ces derniers mois les restrictions à ces exportations de vrac pour contraindre les industriels locaux à développer des marques.»
Le pillage des huiles syriennes alimente la machine turque
FranceAgriMer note aussi que parmi les principaux exportateurs mondiaux, la Turquie est le pays dont la valeur des exportations est la plus faible, à 4,19 euros le kilo, contre 5,29 euros pour l’Espagne et même 6,38 euros pour l’Italie. Le modèle tunisien, et particulièrement la success story Terra Delyssa, qui s’est fait une place en rayon avec un positionnement premium, pourrait faire des émules.
Un bon suiveur des questions agricoles établi dans la région apporte une explication complémentaire : «Les troupes turques sont présentes dans le nord de la Syrie, un bassin de production important d’huile d’olive. À la manière des Russes avec les céréales ukrainiennes, les Turcs récupèrent la production locale.» Les chiffres de production du pays dirigé par Erdogan seront donc à surveiller dans les prochains mois. Ils pourraient contribuer à amplifier les baisses de prix attendues par les marchés, après des années historiques du fait de la pénurie d’offre.
Partout dans le monde, de l’appétit pour la production
D’autant que, outre la Turquie, une kyrielle de nouveaux entrants espèrent s’approprier une part du gâteau alors que les cours record des dernières années et la vulnérabilité des productions méditerranéennes ont fait office d’appel d’air. Les plantations se multiplient, aux États-Unis, en Chine, au Pakistan… «Plus de 60 millions d’arbres ont été plantés en Arabie Saoudite», relève Ramzi Belkhodja.
Et la France dans tout ça ? Avec une production de 3700 tonnes lors de la campagne 2022/2023, le pays s’accroche à son rôle de producteur anecdotique sur la scène mondiale, malgré une consommation d’environ 130000 tonnes. Les arrachages de vignes dans le bordelais pourraient laisser un peu de place à la production.
Le rêve américain, baroud d’honneur pour une demande en berne ?
Les nouveaux venus zieutent notamment le marché américain. Car c’est un fait important : l’huile d’olive, vantée pour ses vertus pour la santé, a le vent en poupe, même si l’inflation a tempéré la belle croissance des dix dernières années (environ 0,1 Mt supplémentaire). «Nous considérons les États-Unis comme un pilier clé de la croissance pour les années à venir, indique Deoleo, l’un des leaders mondiaux de l’huile d’olive, connu surtout en France pour sa marque Carrapelli. (…) Avec seulement 45% des foyers américains qui utilisent de l’huile d’olive, il existe un potentiel de croissance substantiel.»
Les tentatives pour faire progresser l’huile d’olive au pays de l’Oncle Sam ne sont toutefois pas toujours couronnées de succès : preuve avec Starbucks et ses cafés infusés à l’huile d’olive qui auront vécu dix-neufs mois : l’initiative a été arrêtée en catimini d’après une information d’Olive Oil Times parue début novembre.
Coup de frein durable en Europe ?
Mais si de nouveaux marchés s’ouvrent, les marchés traditionnels ont beaucoup souffert avec l’inflation. Europe où l’on avale traditionnellement autour de 1,5 Mt d’huile d’olive chaque année, la consommation est tombée à 1,2 Mt – ce qui est aussi lié au déficit d’offre. L’inflation a confirmé la forte élasticité prix pour la plus chère des huiles. L’Espagne, où chaque habitant engloutit traditionnellement plus de 11 litres d’huile d’olive dans l’année – c’est moins de 2 en France –, est tombée sur la marche la plus baisse du podium des pays consommateurs, détrônée par l’Italie et les États-Unis. Les baisses de prix, liées à la production exceptionnelle qui s’annonce, sont très attendues.
«Selon les experts économiques du COI, la consommation d’huile d’olive ne reprendra pas aussi vite que la production. La consommation d’huile d’olive reste en effet confrontée à la concurrence des autres huiles végétales», indique toutefois FranceAgriMer à L’Usine Nouvelle. Un nouveau signal qui pourrait accentuer le mouvement baissier.
Source : https://www.usinenouvelle.com/