
Loin de tenir ses promesses, la « Révolution verte » en Afrique semble avoir creusé la dépendance des petits exploitants aux multinationales de l’agrochimie, sans pour autant améliorer leur niveau de vie. Dans l’ouvrage La prédation économique en Afrique (Valeur Ajoutée Éditions), dirigé par Raphaël Rossignol et co-écrit avec des étudiants de l’École de guerre économique, l’auteur met en lumière les échecs et les dérives de cette stratégie agricole. Dans cette interview, il décrypte les mécanismes qui ont mené à cet échec et esquisse des pistes pour une souveraineté alimentaire durable, adaptée aux réalités locales du continent.
L’AGRA avait l’objectif ambitieux de « lancer une révolution verte authentiquement africaine qui va métamorphoser l’agriculture et extraire des millions de personnes de la pauvreté ». Plus précisément, il s’agissait de diminuer de moitié l’insécurité alimentaire et de doubler les récoltes ainsi que les revenus de trente millions de petits exploitants d’ici 2020. En juin 2020, ces objectifs ont été retirés du site Internet de l’AGRA, actant l’échec de l’initiative. L’AGRA fonde sa démarche sur la promotion d’intrants chimiques, de semences (hybrides, améliorées, OGM), de la libéralisation des marchés et d’une meilleure mise en relation des producteurs, distributeurs et consommateurs aux marchés. Pour cela, l’AGRA soutient notamment les réseaux de distributeurs de semences améliorées et de produits chimiques, qui permettent de diffuser aux agriculteurs africains les produits des grandes multinationales de l’agrochimie. Les revenus des agriculteurs n’ont pas progressé, et de nombreux se retrouvent endettés après des récoltes non fructueuses.
Pourquoi cette stratégie agricole accentue-t-elle la dépendance des pays africains aux multinationales ?
Les semences hybrides et les engrais synthétiques mis en avant par l’AGRA sont subventionnés par dix des treize pays membres, malgré leurs maigres ressources publiques. En Zambie, ces subventions ont représenté 300 millions de dollars américains, soit 50 % du budget agricole zambien. Ces subventions contribuent au remplacement des semences traditionnelles par les semences hybrides des multinationales, désintégrant ainsi la polyculture africaine basée sur la collecte et l’échange de semences, au profit d’un modèle agro-industriel axé sur la monoculture et l’exportation. De même, la culture récurrente de graines identiques accroît l’acidité des sols et réduit leur fertilité, contraignant les agriculteurs à augmenter sans cesse leurs achats d’engrais afin de maintenir les récoltes à un niveau équivalent. L’emploi excessif de produits phytosanitaires entraîne la pollution chimique des eaux, la contamination de l’air, et a des effets délétères sur la santé des cultivateurs.
De quelle manière les politiques agricoles pourraient-elles favoriser une souveraineté alimentaire durable en Afrique ? Y a-t-il des modèles agricoles alternatifs qui conviennent mieux aux spécificités locales ?
Des politiques agricoles favorisant la souveraineté alimentaire durable en Afrique devraient promouvoir le développement de semences locales, diminuer la part des cultures destinées à l’export hors d’Afrique, renforcer le marché intra-africain, combattre l’accaparement des terres, redistribuer les terres et former les agriculteurs. La constitution de géants agroalimentaires africains, la résolution des problèmes liés à l’eau et à la pollution des sols, la promotion de l’agriculture biologique, l’instauration de subventions et l’amélioration des infrastructures de transport pour les produits frais sont également indispensables.
Source : https://www.rse-magazine.com/