
La Région doit placer 5% de son territoire sous «statut de protection fort» d’ici 2030. Mais elle en est loin. Les impératifs budgétaires n’arrangent rien.
La planète a besoin d’air, mais aussi d’espace. En novembre dernier, ses dirigeants se sont réunis à Cali, en Colombie, pour évoquer et réglementer l’avenir de la biodiversité. Celle-ci est fondamentale pour reconstituer l’eau, l’air et les sols, mais aussi pour réduire le risque de maladies contagieuses dangereuses. La pandémie de coronavirus, dont l’origine reste floue, est encore dans toutes les têtes. La création de zones protégées, la restauration de l’habitat et l’éradication des espèces envahissantes doivent être en conséquence encouragées.
Dans un cadre proche initié par l’Union européenne (1), le nouveau gouvernement wallon du libéral Adrien Dolimont hérite de la mission d’accroître la surface des réserves naturelles de la région. Cette surface s’élève actuellement à 1,32% de son territoire. L’objectif est de passer «à 5% sous statut de protection fort d’ici 2030».
Quelque 22 millions d’euros issus du plan de relance européen vont ainsi être consacrés à l’achat de sites naturels «à haute valeur biologique». Cette somme financera également la restauration des écosystèmes et l’accueil du public sur les sites protégés.
Sous la précédente législature, près de mille hectares ont déjà été convertis en «aires protégées». Cela peut paraître peu à l’échelon régional, mais il faut tenir compte du prix fortement à la hausse des terres et, dans une certaine mesure, de l’attachement viscéral qu’ont pour elles leurs propriétaires.
«La sapinière abritera toujours des cervidés et des petits oiseaux»
Ce vendeur témoigne: «Avec ma sœur, nous avions hérité d’une parcelle de 30 ares de nos parents. Notre père y avait planté dans les années 70 des sapins de Noël, dont une bonne moitié n’avait pas été coupée pour les fêtes de fin d’année. Ils avaient donc un demi-siècle, mais c’était un mauvais bois. La sapinière était enclavée et les coupes s’annonçaient peu rentables. Nous avions peur du scolyte et des vents d’hiver. Mais nous ne pouvions pas nous résoudre à la vendre car notre mère y était attachée. C’est alors qu’est arrivée une offre assez généreuse de Natagora. Nous avons vendu la sapinière à cette association environnementaliste car, avec elle, nous étions sûrs qu’elle ne serait pas transformée en pâte à papier. Elle abritera toujours des cervidés et des petits oiseaux».
Un système d’aides généreux jusqu’en 2026
Outre le gouvernement wallon, neuf associations de défense de la nature et le DNF (département nature et forêt) sont à la manœuvre. Les associations sont encouragées à l’achat de terres via un système d’aides. Si c’est pour leur compte propre, les subsides se montent à 80% de la facture. Si c’est pour la Région, ils atteignent les 100%. Mais ces conditions avantageuses sont limitées à 2026. Au-delà de cette échéance, les aides seront réduites à hauteur de 50% de l’achat.
Les associations considèrent donc la période actuelle comme un temps béni, en se souvenant de l’époque où la ligne budgétaire consacrée aux aires protégées avait été mise sur pause. Elles craignent que la disette ne revienne. Dans son souci de soulager les comptes d’une Wallonie lourdement endettée, le nouvel exécutif régional pourrait faire l’impasse sur l’extension des terres consacrées à la régénération de la biodiversité. La nouvelle majorité de droite a fait une priorité de l’assainissement des finances publiques. Quant aux écologistes, ils ont été sanctionnés par les élections du 9 juin dernier et ont été relégués dans l’opposition.
Pour l’heure, les nouvelles autorités wallonnes ne cachent pas leur souhait de revoir en profondeur les conditions qui président au statut d’aires protégées. Elles se dirigeraient vers un système de conventions avec des propriétaires, lesquels s’engageraient eux-mêmes à protéger la nature sur tout ou sur une partie de leurs terres.
«L’objectif du projet “Aires protégées” du plan de relance est atteint », estime dans les colonnes du quotidien francophone Le Soir le cabinet de la ministre Anne-Catherine Dalcq, en charge du dossier. «La priorité est maintenant d’activer la restauration de ces aires.»
100 millions d’euros par an jusqu’en 2030
L’argent est comme souvent le nerf de la guerre: «Pour atteindre l’objectif de 5 % du territoire sous statut de protection fort, le coût moyen estimé serait de 100 millions d’euros par an jusqu’en 2030 si on se base uniquement sur l’acquisition», fait valoir le cabinet. Par ailleurs, «la politique d’acquisition subventionnée semble aussi avoir, comme effet indirect non désiré, d’augmenter la pression sur le foncier dans certaines zones».
Le nouveau système de conventions individuelles préconisé par les autorités a déjà ses détracteurs. Ceux-ci estiment que rien ne garantit qu’il soit pérenne, que seule l’entremise des associations environnementalistes a jusqu’ici fait ses preuves. Et puis, qui a envie de voir l’Etat (en l’occurrence la Région) régenter ses terres ? interrogent-ils.
Pour arriver à 5% d’aires protégées en 2030, il faudra additionner 80.000 hectares au total. Actuellement, seul un quart de cette superficie est atteint. Et d’aucuns d’imaginer que pourraient être «mis au pot» les bords de cours d’eau, des forêts domaniales et communales, ou encore les camps militaires. Le tout avec un budget 2025 diminué de moitié. La course contre la montre pour remplir l’objectif 2030 ne fait que commencer.
(1) La stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 constitue la pierre angulaire de la protection de la nature dans l’UE et un élément essentiel du Pacte vert pour l’Europe. Elle prévoit la création de zones protégées représentant au moins 30 % de la superficie terrestre et de la superficie marine de l’UE, en étendant la couverture des zones Natura 2000 existantes. Sont également prévues la restauration des écosystèmes dégradés dans toute l’UE d’ici 2030 et l’affectation d’une enveloppe de 20 milliards d’euros par an à la protection et à la promotion de la biodiversité via des fonds de l’UE et des financements nationaux et privés.
Source : https://www.virgule.lu/