
L’espace steppique qui couvre plus de 20 millions d’hectares à l’échelle nationale connaît une dégradation importante. Malgré les différents programmes de protection et de réhabilitation de ces étendues, des politiques rigoureuses s’imposent car l’avancée du désert menace le Nord.
Depuis plus de trois décennies, les parcours steppiques des hautes plaines algériennes sont marqués par une dégradation intense affectant le couvert végétal, la biodiversité et le sol. C’est le cas de l’alfa (Stipa tenacissima) dont la régression est prise comme principal indicateur. Les surfaces occupées par l’alfa étaient, selon des experts, de l’ordre de 5 millions d’hectares au début du siècle, dont une grande partie dans les wilayas de Tlemcen, Aflou, Naâma, El Bayadh et Djelfa. Malheureusement aujourd’hui, ces surfaces sont réduites à un peu plus d’un million d’hectares. De grandes étendues de steppes denses d’alfa ont été détruites suite aux aléas climatiques et à l’exploitation par l’homme et les troupeaux durant des années.
Malgré les stratégies mises en place par l’Etat visant en premier lieu la protection des parcours et la création d’un meilleur cadre de vie pour les éleveurs, le constat majeur est celui d’une diminution de la superficie de ces steppes extrêmement dégradées. Et pour cause, les conditions climatiques et la situation socio-économique des habitants de l’espace steppique constituent les deux facteurs entravant tout développement durable de ces espaces.
Du sud de Tlemcen jusqu’aux zones steppiques de Naâma, ou du côté de Sidi Bel Abbès ou El Bayadh, le décor montre à quel point la steppe est menacée. Ces immenses terres qui s’étendent sur des milliers d’hectares sont plus qu’agressées et détruites suite aux aléas climatiques et à l’exploitation par l’homme et les troupeaux durant des années.
A titre d’exemple, la production d’alfa dans les régions de Tlemcen était considérable et estimée à plusieurs milliers de tonnes, générant ainsi de nombreux emplois. Aujourd’hui, le constat est amer, les récoltes ne dépassent pas quelques dizaines de tonnes. De l’avis des spécialistes, «la croissance démographique permanente et le désir de l’amélioration du revenu familial, associés aux effets du changement climatique, ont été à l’origine d’une profonde transformation du milieu naturel de la steppe algérienne. Cette transformation s’observe par la genèse d’un certain nombre de phénomènes, indicateurs de la dégradation du milieu.
Rôle fondamental dans l’économie agricole
Parmi les plus frappants, on cite essentiellement la détérioration de la qualité des parcours avec la baisse de leur productivité, la salinisation et désertification des sols, et enfin l’érosion des ressources génétiques et la baisse de la biodiversité.
Le spécialiste Bouzid Nedjimi a souligné lors de conférences organisées à Tlemcen, que «les steppes algériennes constituent l’espace privilégié de l’élevage ovin extensif. «Ces parcours naturels qui jouent un rôle fondamental dans l’économie agricole du pays sont soumis à des sécheresses récurrentes et à une pression anthropique croissante : surpâturage, exploitation de terres impropres aux cultures… Depuis plus d’une trentaine d’années, ils connaissent une dégradation de plus en plus accentuée de toutes les composantes de l’écosystème (flore, couvert végétal, sol et ses éléments, faune et son habitat)».
En effet, une virée au cœur de cette zone steppique montre l’ampleur des dégâts. Les éleveurs, notamment les nomades, envahissent les terres mises en défens. S’ajoutent les défrichements pour la culture céréalière.
Cette exploitation permanente des pâturages naturels, avec une charge animale supérieure au potentiel de production des parcours, a pour effet de réduire leur capacité de régénération naturelle.
A travers cette zone steppique habitée par les nomades qui ont donné l’image d’un mode de vie adapté à ces régions, l’on peut en effet constater une diminution du couvert végétal et le changement de la composition floristique.
Bédrani Slimane, professeur de l’Ecole nationale supérieure d’agronomie d’Alger : «Il faut interdire le pâturage intensif»
Quelles sont les principales causes qui expliquent la dégradation avancée des parcours steppiques ?
Les deux causes principales sont le changement climatique et la surexploitation des parcours par le surpâturage. Le changement climatique se lit à travers les sécheresses récurrentes qui sévissent depuis les années quarante et qui se traduisent par une baisse drastique des précipitations. Cela, bien sûr, nuit à la reproduction du couvert végétal et donc à la capacité de ce dernier à fournir de l’alimentation à un cheptel conséquent.
La surexploitation des parcours par le surpâturage s’est propagée parallèlement à la détérioration des conditions climatiques tout au long du siècle dernier et continue de se manifester au cours du siècle courant. La quantité de cheptel présent sur les parcours a considérablement augmenté, entraînant une baisse de la reproduction des plantes annuelles (les plantes sont broutées avant qu’elles ne produisent des graines) et la disparition progressive des plantes pérennes (alfa, armoises,…). Ces deux phénomènes (changement climatique et surpâturage) se conjuguent pour provoquer la situation de désertification dramatique des parcours steppiques.
Il faut ajouter une troisième cause : la fourniture à bas prix d’orge importée aux éleveurs lors des années de sécheresse. Cette politique avait conduit les éleveurs à ne pas limiter leur cheptel à la quantité disponible de fourrages naturels. Ce qui conduit à la surcharge des parcours et au surpâturage.
Comment sauver ce qui reste de l’alfa, plante qui était utilisée pour l’industrie du papier ?
L’alfa – dont on peut faire germer des graines en laboratoire – ne se reproduit pas naturellement parce que les conditions climatiques ne le permettent pas. La seule façon de la préserver dans les rares endroits où elle subsiste est d’interdire le pâturage intensif. Les agropasteurs qui exploitent ces endroits doivent être contrôlés par les pouvoirs publics pour limiter la charge de cheptel qu’ils y font paître en fonction des saisons et des pluies (le bétail steppique ne broute l’alfa que s’il ne trouve rien d’autre à se mettre sous la dent).
Quelle lecture faites-vous au sujet des programmes du Haut commissariat au développement de la steppe ?
Les programmes du HCDS consistent principalement à organiser et surveiller des zones de mise en défens et à équiper les zones steppiques en points d’eau. Les deux actions sont nécessaires mais doivent faire l’objet d’un suivi permanent qui puisse assurer leur longévité. En effet, ce que l’on constate jusqu’à maintenant, c’est la rapide dégradation des zones mises en défens une fois qu’elles sont remises en exploitation, dégradation due à la gestion non raisonnée de ces zones (en particulier la limitation de la charge de bétail en fonction de l’importance variable du couvert végétal)
Il serait utile que cette politique de mise en défens soit menée avec des pasteurs et agropasteurs ayant une exploitation exclusive de parties de parcours steppiques, parties prenantes à qui le HCDS imposera un cahier des charges et fournira une aide logistique et des conseils.
Arrivera-t-on un jour à freiner l’avancée du sable ?
Contrairement à ce que certains croient, le sable que l’on trouve sur la steppe n’est pas celui qui vient du Sahara ; les sables des dunes du grand erg occidental n’avancent pas vers le Nord. Le sable présent sur la steppe est celui qui est formé sur place par l’érosion éolienne sur les terres de parcours cultivées sans irrigation (en sec) et piétinées par un trop grand nombre d’animaux.
Source : https://lalgerieaujourdhui.dz/