
Un fongicide couramment utilisé en agriculture, le tébuconazole, a montré des effets préoccupants sur la reproduction des moineaux domestiques. Une équipe française pilotée par un chercheur du CNRS a récemment publié une étude dans Environmental Research, révélant que l’exposition chronique à cette molécule entraîne un ralentissement de la croissance des oisillons et augmente significativement leur taux de mortalité, en particulier chez les femelles.
Un produit omniprésent dans les champs européens
Le tébuconazole appartient à la famille des triazoles. Il est massivement utilisé dans les cultures pour lutter contre les maladies fongiques telles que le mildiou ou l’oïdium. Contrairement aux herbicides comme le glyphosate ou aux insecticides, les effets des fongicides sur la faune sauvage restaient très peu documentés jusqu’à présent.
Cette étude comble donc un vide important dans la compréhension des impacts de l’agrochimie sur les écosystèmes agricoles.
Une expérience en conditions réalistes
Les chercheurs ont travaillé avec deux groupes de moineaux domestiques. Le premier, groupe témoin, n’a pas été exposé au fongicide. Le second a reçu une dose de tébuconazole correspondant à celle retrouvée dans l’environnement agricole. C’est un point fondamental : il ne s’agit pas d’une exposition extrême ou artificielle, mais d’une situation réaliste à laquelle les oiseaux sont véritablement confrontés dans les campagnes européennes.
Résultat : aucun effet notable sur la ponte, l’incubation ou le nombre d’œufs éclos. En revanche, des différences très marquées apparaissent après l’éclosion.
Un développement perturbé chez les jeunes moineaux
Chez les oisillons exposés au fongicide, la croissance est ralentie de 10 % en moyenne. Cela signifie des individus plus petits, plus fragiles, et potentiellement moins aptes à survivre une fois sortis du nid.
Mais l’impact le plus marquant concerne le taux de mortalité post-nidification. Dans le groupe exposé, 47 % des jeunes sont morts après avoir quitté le nid, contre seulement 20 % dans le groupe témoin. Ce chiffre double est particulièrement inquiétant, d’autant plus que les femelles semblent plus vulnérables à cette exposition.
Une reproduction sans effet visible… jusqu’à l’émergence des jeunes
Ce décalage entre une reproduction apparemment normale et une mortalité postérieure massive doit interpeller. Il suggère que les effets toxiques du tébuconazole ne perturbent pas directement les mécanismes hormonaux ou le comportement reproductif des adultes, mais qu’ils affectent plutôt le développement des jeunes au niveau cellulaire ou métabolique, une fois le stade embryonnaire dépassé.
Une question de bioaccumulation et de seuils critiques
La molécule pourrait s’accumuler dans les tissus ou interférer avec certains mécanismes physiologiques chez les jeunes moineaux. Les triazoles sont connus pour inhiber la synthèse de l’ergostérol, un composant fondamental des membranes cellulaires chez les champignons, mais ils peuvent aussi interférer avec des processus endocriniens chez les vertébrés.
Chez les oiseaux, ces perturbations pourraient affecter l’assimilation des nutriments, la croissance osseuse ou encore l’immunité. Il est encore trop tôt pour identifier avec certitude les voies d’action exactes, mais l’effet observé est indiscutable.
Une problématique élargie à d’autres espèces
Même si l’étude a été menée sur des moineaux domestiques en environnement contrôlé, les auteurs alertent sur la probabilité élevée que ces effets soient transposables à des espèces sauvages, en particulier les passereaux agricoles dont les populations sont en forte régression depuis les années 1980.
Cela vient compléter les nombreuses études qui relient la disparition des oiseaux des champs à l’intensification agricole. Jusqu’ici, les herbicides et insecticides étaient principalement mis en cause. Il faudra désormais intégrer les fongicides comme facteur aggravant de cette disparition silencieuse.
Une meilleure régulation de ces substances ?
La réglementation européenne actuelle évalue les risques des produits phytosanitaires principalement en fonction de leur toxicité aiguë. Or, cette étude montre que des effets délétères peuvent survenir après une exposition chronique à faibles doses, qui passe souvent sous les radars des protocoles classiques.
Pour aller plus loin, les scientifiques appellent à :
– Élargir les tests de toxicité aux effets sublétaux et différés.
– Suivre les niveaux de contamination dans les milieux naturels (graines, insectes, eau).
– Documenter les effets sur d’autres espèces d’oiseaux et de mammifères.
La présence persistante du tébuconazole dans les systèmes agricoles représente un enjeu de recherche, mais aussi de politique publique. Face à ces données, la question n’est plus de savoir si cette molécule a un impact, mais comment cet impact se manifeste et jusqu’où il s’étend.
Source : https://media24.fr/